Russie

Intérêts, postures et politiques russes dans l’Arctique

Des ambitions plurielles

Pour le président russe Vladimir Poutine, l’Arctique « est une concentration de pratiquement tous les aspects de la sécurité nationale – militaire, politique, économique, technologique, environnementale, en termes de ressources », en conséquence de quoi la Russie doit « prendre des mesures supplémentaires pour ne pas se laisser distancer par [ses] partenaires, pour maintenir [son] influence dans la région et peut-être, dans certains domaines, devancer [ses] partenaires »1Réunion du Conseil de sécurité sur la politique de l’État russe dans l’Arctique, 22 avril 2014 (www.kremlin.ru) ; ci-après « réunion du Conseil de sécurité »..

L’affichage d’un intérêt plus articulé de la Russie pour l’Arctique s’est en effet manifesté peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, avec l’adoption dès 2001 d’une stratégie ad hoc. Celle-ci fut actualisée en 2008 (horizon 2020 et au-delà)2http://government.ru/info/18359/ ; en 2013, le gouvernement russe a adopté une stratégie de développement de l’Arctique venant en application du document de 20083http://government.ru/info/18360. Différents documents encadrant la stratégie générale de la Fédération de Russie ainsi que des programmes économiques d’importance nationale évoquent la région Arctique comme figurant parmi les priorités du gouvernement russe. À partir du milieu des années 2000, la Russie a d’ailleurs opté pour une posture à dimension plus offensive. Elle a en particulier marqué les esprits en plantant, en 2007, un drapeau en titane dans les fonds arctiques au pôle nord. Le pays a également réalisé diverses expéditions destinées à l’aider à appuyer sa démonstration sur le fait que les dorsales Lomonosov et Mendeleev constituent une extension de son plateau continental ; si ses revendications étaient validées, 1,2 million de km² de fonds marins situées au-delà de sa zone économique exclusive relèveraient de sa juridiction. Sa demande à cet égard déposée en 2002 ayant été rejetée, la Russie a présenté, en février 2016, un dossier modifié.

Vu de Moscou, l’impératif d’une présence plus marquée dans une zone Arctique qui s’ouvre du fait du changement climatique recoupe intérêts économi­ques (enjeux énergétiques en particulier) et stratégiques (en raison, notamment, de la présence dans la région du cœur de la flotte stratégique du pays). Dans le domaine énergétique, alors que la Russie demeure très dépendante économiquement de l’ex­portation de ses hydrocarbures et que le levier éner­gétique demeure une composante importante de sa posture internationale, l’Arctique, régulièrement qualifié de « base de ressources » (ressoursnaïa baza) par les officiels russes, est perçu comme une source de compensation de l’épuisement des champs de Sibérie occidentale4La Stratégie de sécurité nationale récemment adoptée (31 décembre 2015) fait référence à l’épuisement des ressources naturelles et à la nécessité d’assurer l’indépendance énergétique de la Fédération de Russie. Cela renvoie au besoin de restructuration que nécessite le secteur énergétique russe, et probablement à la nouvelle donne énergétique internationale dont certaines dimensions réduisent objectivement l’avantage russe en la matière.. Le président russe évalue les réserves en énergie contenues par la section russe de l’Arctique à plus d’1,6 trillion de tonnes5Réunion du Conseil de sécurité. ; elles compteraient pour les deux tiers du pétrole et du gaz que possède la Fédération. Toutefois, la persistance depuis plus d’un an des prix du pétrole à un bas niveau a mis un frein aux ambitions de la Russie dans cette direction de son intérêt pour l’Arctique. Si la production sur le gisement pétrolier offshore de Prirazlomnoe a pu être lancée fin 20136http://www.gazprom.com/about/production/projects/deposits/pnm/, le projet Shtokman (mer de Barents), dont le développement devait commencer en 2013, est pour l’instant gelé – ce qui doit aussi bien à l’évolution du contexte énergétique international (notamment aux États-Unis)7Voir Heather A. Conley, Caroline Rohloff, The New Ice Curtain. Russia’s Strategic Reach to the Arctic, CSIS Europe Program, août 2015, p. 27 ; pp. 32-33. qu’à la détérioration profonde des relations entre la Russie et les pays occidentaux (sanctions)8Voir « Gaz : Total cède à Gazprom ses parts dans le projet Chtokman », Le Monde (Economie), 24 juin 2015.. L’AIE a considéré, dans son rapport 2014, que le développement des ressources offshore russes dans l’Arctique ne contribuerait que faiblement à la production d’énergie russe à l’horizon 2030-359IEA, World Energy Outlook 2014, Paris, 2014, p. 123..

Sur le volet économique, la Russie espère aussi une intensification de l’expansion du trafic maritime sur la Route maritime du nord (severnyï morskoï pout’ ou Sevmorpout’)101,5 million de tonnes de cargo ont transité par cette voie en 2013 contre un peu plus d’un demi-million quelques années plus tôt ; l’objectif énoncé par le président russe étant un tonnage de 4 millions de tonnes par an en 2015-2016 (Réunion du Conseil de sécurité).. Soulignant ses avantages en tant que voie de navigation plus courte entre l’Asie et l’Europe, Moscou avance qu’à terme cette voie pourra concurrencer la route traditionnelle via le Canal de Suez. Cela nécessitera cependant un effort financier dont on peut se demander s’il est en ce moment à la portée de l’État russe (la Russie a connu une contraction de son PIB de 3,7% en 2015 et la récession pourrait perdurer en 2016). Si elle garde en la matière un avantage certain (cf. notamment, sa flotte de brise-glaces nucléaires), elle entend cependant activer le plus rapidement possible une nouvelle génération de brise-glaces (diesel et nucléaires)11Atle Staalesen, « These are Russia’s New Icebreakers », Barents Observer, 1er décembre 2015. et de bâtiments utilisables dans les conditions arctiques ; le président Poutine réclame régulièrement l’accélération de cette entreprise. La réalisation des ambitions arctiques de Moscou supposera aussi que le gouvernement russe dépasse la vétusté et l’insuf­fisance de l’infrastructure portuaire régionale. Cela vaut aussi pour les infrastructures de communication, de maintenance technique, de sauvetage et de refuge.

« En off », beaucoup d’experts russes considèrent que la perspective d’une expansion notable du trafic maritime sur la Route du nord demeure lointaine du fait des conditions toujours fort difficiles de la navigation en Arctique. Si cela peut rendre moins urgent, vu du gouvernement russe, le dépassement des écueils et obstacles rencontrés dans le lancement de nouveaux projets énergétiques et dans la modernisation des infrastructures locales, cela contraste en tout état de cause avec l’activisme croissant de la Russie en Arctique et la forme de « battage médiatique » dont la politique nationale dans la région fait l’objet – de manière particulièrement accentuée depuis deux-trois ans. Un facteur en est que la région est aussi identifiée par le Kremlin comme s’inscrivant parfaitement dans les thématiques à connotation patriotique autour desquelles il juge possible de rassembler les élites et la population russes. Beaucoup de spécialistes supposent que les autorités russes cherchent à appuyer leur projet de puissance sur, entre autres, l’idée d’une identité nordique particulière de la Russie, et d’une aptitude spécifique de celle-ci à « maîtriser » le Grand Nord. Cela n’est, du reste, pas une complète nouveauté. C’est au XVIème siècle que les expéditions russes ont commencé dans l’Arctique, qui a depuis lors toujours occupé une place importante dans l’imaginaire collectif. Du temps de l’URSS, la maîtrise du Grand Nord constituait pour les autorités un enjeu sécuritaire et de compétition avec les États-Unis mais aussi, de ce fait même, un élément idéologique et identitaire. Succès et avancées soviétiques dans l’Arctique rassemblent toujours une grande fierté nationale. Aujourd’hui encore, décideurs, savants et scientifiques russes insistent sur la spécificité de l’identité arctique de la Russie : celle-ci serait « distincte des autres nations arctiques du fait qu’une large partie de sa population vit de fait dans la région Arctique », souligne par exemple le conseiller du président russe pour le climat, Aleksandr Bedritskiï. Pour Dmitriï Rogozine, qui préside la Commission pour le développement de l’Arctique (voir infra), la région n’est rien moins qu’« une Mecque russe » (message posté sur Twitter)12Steven Lee Myers, « Arctic Council Meeting Starts amid Russia Tensions », New York Times, 24 avril 2015.. En outre, les nouveaux enjeux de l’Arctique, même si l’horizon temporel de leur matérialisation peut être jugé relativement lointain, ont réactivé l’intérêt du gouvernement russe pour la problématique complexe du développement économique et social des territoires du Grand Nord et de leurs populations.

La sensibilité des enjeux de l’Arctique pour la Russie s’est récemment exprimée dans différents documents encadrant la stratégie générale de Moscou – tous approuvés par le président russe et récemment renouvelés. Ainsi, dans la doctrine militaire (décembre 2014) comme dans la Stratégie de sécurité nationale (décembre 2015), l’Arctique est la seule région nommément singularisée comme devant faire l’objet d’une attention (sinon vigilance) particulière. La doctrine militaire évoque, parmi les missions principales des forces armées, la « sauvegarde des intérêts nationaux de la Fédération de Russie dans l’Arctique ». Le point 99 de la Stratégie de sécurité appelle au développement d’une coopération « égalitaire et mu­tuellement avantageuse dans l’Arctique » – ce qui renvoie aux termes désormais classiquement employés par les autorités russes pour déplorer… le fait que les pays occidentaux n’y sont pas prêts et tendent à ne pas prendre en considération les intérêts de la Fédération de Russie. La région, dans ce même document, est désignée comme l’un des lieux de la « compétition [internationale] pour le contrôle des ressources, des marchés et des voies de communication ». Vladimir Poutine croit d’ailleurs pouvoir constater « la collision de plus en plus fréquente des intérêts des nations de l’Arctique et pas seulement : des pays bien éloignés de cette zone manifestent également un intérêt grandissant » pour la zone13Réunion du Conseil de sécurité.. Dans ce contexte, le mot clef du discours russe sur l’Arctique tend à être le suivant : souveraineté.

Une stratégie toujours fondée sur les leviers diplomatiques et multilatéraux…

Ces affichages, conjugués à une concentration récente mais remarquable de l’effort de présence russe en Arctique sur les instruments militaires (voir infra), suscitent la préoccupation des autres pays de l’Arctique quant à la possibilité que Moscou renonce à la ligne qu’elle a suivie jusqu’à présent – plutôt fondée sur la diplomatie et la confiance dans les institutions régionales (tandis que, jusque récemment, la politique de développement des moyens militaires dans la région se réalisait selon un mode très modéré).

Jusqu’à aujourd’hui, au-delà d’un discours sur les intérêts nationaux dans la région assez offensif, la Russie a privilégié la résolution des différends par la voie diplomatique et inscrit sa politique dans l’Arctique dans des logiques de coopération avec les pays riverains. Une recension des articles sur l’Arctique parus dans le quotidien gouvernemental Rossiïskaïa Gazeta entre mai 2008 et juin 2011 montre que le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov s’en est, sur toute la période, tenu à l’idée que les problèmes interétatiques dans l’Arcti­que pouvaient être résolus hors de toute approche confrontationnelle14Elana Wilson Rowe, Helge Blakkisrud, « A New Kind of Arctic Power? Russia’s Policy Discourses and Diplomatic Practices in the Circumpolar North », GEOPolitics, Vol. 19, n° 1, p. 73.. Le traité signé en 2010 avec la Norvège sur la délimitation de la frontière bilatérale dans la mer de Barents va dans ce même sens. Plus récemment, pourtant sur fond de conflit en Ukraine, le président Poutine a aussi déclaré que son pays était intéressé au « développement durable de la région fondé sur la coopération et le respect absolu du droit international » et souligné l’importance du Conseil arctique pour résoudre les problèmes ayant trait à la coopération dans les zones frontalières, au transport maritime, etc.15Réunion du Conseil de sécurité. En outre, parce qu’elle juge le cadre ONU protecteur de ses intérêts, la Russie promeut ses revendications sur la délimitation de la frontière extérieure du plateau continental dans l’Arctique dans le cadre UNCLOS.

Toutefois, cet esprit plutôt coopératif a clairement été modifié par le conflit en Ukraine. Les autres membres du Conseil arctique (tous membres de l’Union européenne ou de l’OTAN) ont pris des sanctions contre la Russie. Ces sanctions sont, pour une partie d’entre elles, de nature à pénaliser, voire compromettre la réalisation de projets énergétiques à participation internationale – qu’il s’agisse des restrictions sur les transferts de technologies ou de celles sur l’accès aux marchés financiers internationaux. La réalisation du projet Yamal (gaz liquéfié), important pour la Russie du point de vue de son effort pour accroître ses exportations d’hydrocar­bures vers l’Asie, a été mise en cause par les sanctions. La société russe Novatek16Novatek 60%, Total 20%, CNPC 20%., directement ciblée par les sanctions américaines, a vu se réduire fortement les possibilités de financement sur les marchés internationaux, ce qui complique considérablement le financement du projet (près de 30 milliards de $) alors que les premières livraisons sont supposées intervenir en 2017. Reste à voir si des financements chinois vont permettre de compenser partiellement la situation. Les sanctions ralentissent aussi un projet Rosneft-ExxonMobil dans la mer de Kara17« Russia’s Rosneft Won’t Resume Sanctions-Struck Arctic Drilling before 2018 – Sources », Moscow Times, 11 juin 2015.. Les sanctions contrarient en tout état de cause la stratégie de la Russie concernant la valorisation des ressources dans l’Arctique – les coûts élevés et la complexité technologique ayant incité le gouvernement et les entreprises russes à rechercher des partenariats avec des investisseurs et des sociétés étrangers.

Les sanctions relativisant cette importante motivation de l’attitude relativement coopérative de la Russie en Arctique, celle-ci, qui montre déjà, historiquement, une forte propension à miser sur les leviers militaires pour porter sa stature internationale, a au cours des deux dernières années renoncé à ce qui était une ligne de renforcement modéré des capacités sécuritaires et militaires régionales pour s’engager dans une stratégie de présence dans l’Arctique beaucoup plus militarisée. L’établissement en mars 2015 d’une commission d’État pour le développement de l’Arctique correspond au souci exprimé par le président un an plus tôt de disposer pour l’Arctique d’un dispositif décisionnel rationalisé, avec « un centre de responsabilité unique pour la mise en œuvre de [la] politique [de la Russie] dans la région »18Réunion du Conseil de sécurité., permettant de coordonner les initiatives des organes fédéraux, régionaux et locaux19http://government.ru/docs/17319/. Le fait que la présidence en ait été confiée à Dmitriï Rogozine, vice-Premier ministre très impliqué dans les questions de défense et d’armement, est en soi un indicateur significatif – cette personnalité, frappée personnellement par les sanctions américaines et européennes, étant en outre réputée pour sa faible inclination à rechercher le compromis avec les pays occidentaux et l’ayant clairement montré du temps où il occupait les fonctions de représentant de la Fédération de Russie près l’OTAN.

Par ailleurs, la Russie réalise un certain nombre de ses désormais nombreux vols de provocation à proximité de l’espace aérien de membres de l’OTAN dans la région (Norvège, Canada, Alaska).

… mais de plus en plus militarisée

L’ouverture de l’Arctique et l’affirmation de leurs intérêts par les autres riverains (mais aussi l’OTAN et d’autres puissances extra-régionales) sont ressenties en termes de vulnérabilité en Russie – soumettant potentiellement, dans l’esprit des Russes, une région jusqu’ici relativement protégée par les conditions climatiques à des « atteintes » par d’autres États. Ces circonstances comptent au nombre des facteurs qui ont aiguisé, ces dernières années, la vision des élites russes selon laquelle leur pays évolue dans un ordre international instable et dangereux, marqué par une compétition très vive pour les ressources naturelles. Pour les autorités russes, il existe un « danger de militarisation de l’Arctique », pour repren­dre les termes utilisés par Vladimir Poutine le 27 février 2013 lors d’une réunion du Collège du ministère de la Défense.

Les autres pays arctiques tendent à imputer à la Russie ce risque de militarisation régional. De fait, la place des outils militaires s’est clairement renforcée dans le traitement par Moscou des enjeux du Grand Nord, et ce de façon encore plus marquée depuis le début du conflit en Ukraine. En 2013, le ministre de la Défense a annoncé la création d’un groupe de forces pour l’Arctique. La Russie renforce ses moyens et infrastructures militaires régionaux (aérodromes, radars, centres de commandement, bases ont été établis ou restaurés ou le seront dans les prochaines années…). Elle accentue son activité militaire dans le Grand Nord. On pense ici à un certain nombre d’exercices marquants. En avril 2014, des parachutistes russes débarquaient sur la base de recherche de Barneo. En mars 2015, s’est tenu un exercice engageant près de 40 000 hommes, une cinquantaine de bâtiments de surface et sous-marins, une centaine d’avions. Les sorties des bâtiments de la flotte du Nord le long de la côte Arctique se font plus fréquentes, et les bombardiers stratégiques sont régulièrement mis à contribution pour de la démonstration de force dans la région. Les militaires russes travaillent apparemment activement à renouveler leur cartographie régionale.

Au 1er décembre 2014, un Commandement stratégique interarmées (OSK) Nord a été activé, destiné à la défense des frontières nordiques de la Russie et de ses intérêts sur la Route maritime du nord. Il doit inclure les trois brigades arctiques : la 200ème brigade de fusiliers motorisés (Mourmansk), une brigade d’infanterie motorisée officiellement établie en janvier 2015 à Alakkurti (région de Mourmansk, à grande proximité de la frontière avec la Finlande), une troisième qui est censée être créée en 2016 dans la région autonome Yamalo-Nenets (la crise économique pourrait retarder l’échéance). L’OSK est fondé sur la flotte du Nord, bastion de la composante navale de la triade stratégique, ce qui dramatise d’emblée les enjeux (la doctrine maritime approuvée en juillet 2015 appelle d’ailleurs à son renforcement).

Il ne s’agit pas ici d’être exhaustif quant aux capacités déployées par la Défense russe dans la région. Néan­moins, quelques éléments de la politique d’équipe­ment de la région peuvent être ici soulignés. En 2015, deux systèmes anti-aériens S‑400 ont été déployés en Arctique (port de Tiksi et Nouvelle-Zemble20La base de Nouvelle-Zemble a également reçu des systèmes de défense côtière Bastion-P. ). Les stratégies anti-accès russes devront être suivies dans cette région aussi bien qu’elles le sont actuellement pour Kaliningrad ou la Crimée. Le ministère de la Défense devra recevoir quatre brise-glaces de nouvelle génération (dont le premier devrait être prêt en 2017)21Atle Staalesen, « These are Russia’s New Icebreakers », op. cit.. Un escadron de drones (Orlan-10, Forpost) a été constitué dans la région militaire Est, près de la ville d’Anadir, pour assurer la surveillance de la préparation au combat des unités déployées dans l’Arctique, de l’état des infrastructures militaires et du terrain22« Russia Deploys Squadron of Drones to Arctic Region », TASS, 23 novembre 2015.. À terme également (idéalement, à l’horizon 2025), un système de surveillance complexe (drones + satellites) doit être développé, la base de données consolidée ainsi formée devant être utilisée à des fins civiles comme militaires.

Le fait que la crise économique que connaît actuellement la Russie, conjuguée aux sanctions, affecte déjà certains volets de ses ambitions régionales ne fait probablement que renforcer la motivation de Moscou à poursuivre en priorité le volet militaire de sa présence en Arctique. Cependant, ce renforcement militaire est également justifié, dans le discours russe, par le besoin de protéger les infrastructures (énergie, ports, etc.), notamment contre le risque terroriste. Le rôle des garde-côtes est également valorisé dans cette perspective qui voit le pouvoir russe appeler de ses vœux le renforcement des dimensions anti-terroristes de la sécurité dans l’Arctique. Pour ce que cela vaut, on peut souligner ici que Dmitriï Rogozine a expliqué le déploiement de nouvelles bases dans la région comme ne visant pas à militariser l’Arctique, mais comme étant cohérent par rapport au besoin d’établir les conditions favorables au développement économique et à la protection des projets d’infrastructure en cours et futurs dans la région23Atle Staalesen, « Rogozin: We Must Colonize the Arctic », Barents Observer, 24 novembre 2015..

Enfin, si l’actuelle crise des rapports russo-occidentaux empoisonne indéniablement l’atmosphère du Conseil arctique24Steven Lee Myers, « Arctic Council Meeting Starts Amid Russia Tensions », op. cit. ; Andrey Zagorsky, « A Step Forwards, or a Step Backwards? Arctic Council Ministerial Meeting in Iqaluit (Canada) », Russian International Affairs Council, 29 avril 2015., la coopération sur de nombreux sujets se poursuit, et la Russie n’a à aucun moment envisagé publiquement de suspendre sa participation à cette instance.

   [ + ]

1. Réunion du Conseil de sécurité sur la politique de l’État russe dans l’Arctique, 22 avril 2014 (www.kremlin.ru) ; ci-après « réunion du Conseil de sécurité ».
2. http://government.ru/info/18359/
3. http://government.ru/info/18360
4. La Stratégie de sécurité nationale récemment adoptée (31 décembre 2015) fait référence à l’épuisement des ressources naturelles et à la nécessité d’assurer l’indépendance énergétique de la Fédération de Russie. Cela renvoie au besoin de restructuration que nécessite le secteur énergétique russe, et probablement à la nouvelle donne énergétique internationale dont certaines dimensions réduisent objectivement l’avantage russe en la matière.
5, 13, 15, 18. Réunion du Conseil de sécurité.
6. http://www.gazprom.com/about/production/projects/deposits/pnm/
7. Voir Heather A. Conley, Caroline Rohloff, The New Ice Curtain. Russia’s Strategic Reach to the Arctic, CSIS Europe Program, août 2015, p. 27 ; pp. 32-33.
8. Voir « Gaz : Total cède à Gazprom ses parts dans le projet Chtokman », Le Monde (Economie), 24 juin 2015.
9. IEA, World Energy Outlook 2014, Paris, 2014, p. 123.
10. 1,5 million de tonnes de cargo ont transité par cette voie en 2013 contre un peu plus d’un demi-million quelques années plus tôt ; l’objectif énoncé par le président russe étant un tonnage de 4 millions de tonnes par an en 2015-2016 (Réunion du Conseil de sécurité).
11. Atle Staalesen, « These are Russia’s New Icebreakers », Barents Observer, 1er décembre 2015.
12. Steven Lee Myers, « Arctic Council Meeting Starts amid Russia Tensions », New York Times, 24 avril 2015.
14. Elana Wilson Rowe, Helge Blakkisrud, « A New Kind of Arctic Power? Russia’s Policy Discourses and Diplomatic Practices in the Circumpolar North », GEOPolitics, Vol. 19, n° 1, p. 73.
16. Novatek 60%, Total 20%, CNPC 20%.
17. « Russia’s Rosneft Won’t Resume Sanctions-Struck Arctic Drilling before 2018 – Sources », Moscow Times, 11 juin 2015.
19. http://government.ru/docs/17319/
20. La base de Nouvelle-Zemble a également reçu des systèmes de défense côtière Bastion-P.
21. Atle Staalesen, « These are Russia’s New Icebreakers », op. cit.
22. « Russia Deploys Squadron of Drones to Arctic Region », TASS, 23 novembre 2015.
23. Atle Staalesen, « Rogozin: We Must Colonize the Arctic », Barents Observer, 24 novembre 2015.
24. Steven Lee Myers, « Arctic Council Meeting Starts Amid Russia Tensions », op. cit. ; Andrey Zagorsky, « A Step Forwards, or a Step Backwards? Arctic Council Ministerial Meeting in Iqaluit (Canada) », Russian International Affairs Council, 29 avril 2015.