Bulletin Juin 2019 – Capacitaire – Technologie – Industrie

Nouvelle étape dans la structuration de la défense russe en Arctique

La Russie renforce ses moyens militaires et restructure le dispositif administratif et de défense en Arctique. L’opérationnalisation d’une défense électronique du passage du Nord-Est, l’autono­misation du district militaire Nord et la construction d’une nouvelle station logistique ont été annoncées.

La flotte du Nord revendique avoir établi un nouveau centre de guerre radio-électronique, comprenant deux centres avec les systèmes Murmansk-BN (2), Krasukha et Divnomorye. Les deux systèmes Murmansk seraient déployés en péninsule de Kola et au Kamchatka et seraient capables de couvrir l’ensemble du passage du Nord-Est puisque leur portée serait estimé à 5 000 km, pouvant atteindre jusqu’à 8 000 km sous des conditions météo favorables. Des systèmes Krasukha‑2 et Krasukha‑4 auraient été déployés sur les bases militaires de Nouvelle-Zemble, de Terre du Nord, des îles de Nouvelle-Sibérie et en Yakoutie. Le système Krasukha‑4 serait capable de brouiller les signaux GPS, les satellites de communication et les communications de drones. (source RU et source EN).

Le futur exercice militaire russe Tsentr 2019 se déroulera en septembre 2019 dans le centre du pays. Il sera conduit au nord du district, proche de la Route maritime du Nord, et se concentrera sur la préparation opérationnelle au combat de haut niveau. Les trois objectifs seraient la démonstration de ses capacités de déni d’accès ainsi que ses capacités de manœuvrabilité ; la visibilité des intentions russes à développer sa présence forte en Arctique ; l’assurance de ses capacités à protéger ses atouts et investissements dans la région. L’exercice solliciterait les systèmes de défense aérienne Tor‑M2DT ainsi que les chars de combat T‑80 BVM. Les nouveaux systèmes radars et les bases militaires rénovées seraient utilisées. Les personnels engagés proviendraient de la flotte du Nord, avec le district militaire central, les nouvelles brigades arctiques russes ainsi que des troupes de l’Organisation du traité sur la sécurité collective. Des interrogations perdurent sur la participation de la flotte Pacifique et de la Chine (source).

Le Commandement stratégique conjoint de la Flotte du Nord recevrait le statut d’unité administrative et militaire séparée des districts militaires classiques à la fin de l’année 2019 (source). Le périmètre de compétence comprendrait les oblasts de Mourmansk et d’Arkhangelsk ainsi que la République des Komis et le district autonome de Nénètsie. Cette prise de responsabilité peut s’expliquer par l’importance politique et stratégique pour le pouvoir russe des projets arctiques, assurer un contrôle global sur l’ensemble des parties prenantes (entreprises, administrations), accompagner la montée en puissance et en charge des capacités techniques et militaires.

Les Stratégies de développement énergétique russe et du secteur des cons­tructions navales sont les deux axes d’effort de Moscou en Arctique

La stratégie mercantiliste russe se poursuit avec l’officialisation de la construction des trains gaziers du projet Arctic LNG 2 et d’une usine de production supplémentaire à Sabetta. En parallèle, la concentration de l’industrie navale russe continue en ligne avec la stratégie russe de construction navale de 2017.

Novatek et TechnipFMC ont signé un contrat pour la construction de la deuxième usine Arctic LNG 2 après avoir participé à la construction de la première. Le groupe français aurait la charge de l’élaboration du projet, de la livraison de l’équipement, des matériaux et des pièces, de la construction et de la mise en exploitation de l’usine. La première tranche de travaux pour 2023. Construction prévue en trois phases, une par train de production, de 6,6 millions de tonnes chacune. L’entrée en production des deux trains suivants serait prévue pour 2024 et 2025 (source). La décision d’investissement sur un troisième projet gazier a été rendu publique. Une petite usine d’une capacité de 4,8 millions de tonnes par an fondée sur du matériel et des technologies russes serait construite dans le port de Sabetta par le biais de la filiale Obsk LNG de Novatek pour un coût de 5 milliards de dollars. Le projet entrerait en pleine capacité en 2023. Le recours à des équipements et technologies russes expliquent la capacité restreinte des lignes de liquéfaction. Les équipements russes sont deux fois moins chers qu’un recours à l’étranger. Le coût unitaire est de 500 dollars la tonne contre 1 100 dollars pour les grands trains de Yamal (source). Enfin, un récent rapport d’expert sur la politique économique et industrielle russe en Arctique a souligné les insuffisances des mesures annoncées pour soutenir l’investissement russe et étranger dans la région (source et source).

En matière de constructions de méthaniers brise-glaces, les carences industrielles et productives russes induisent une dépendance à l’étranger et ont conduit à une réduction des obligations matérielles des brise-glaces dans la NSR. Cependant, les efforts russes de montée en compétence et de concentration dans le domaine de la construction navale sont sensibles à la suite de la stratégie russe de construction navale. Si les 15 premiers méthaniers avaient été construits par Daewoo, Moscou souhaite construire par le biais de coopérations, mais en extrême orient russe. Novatek, Sovcomflot et Zvevda se seraient mis d’accord pour la construction de quatre navires supplémentaires pour un coût unitaire de 375 millions de dollars pour 2025 afin de réduire les carences potentielles de Novatek pour l’exportation du LNG. Cependant, le coût serait 15 à 20 % plus cher par rapport à une production en Corée, compensé par l’État central. L’avantage concurrentiel russe demeure la capacité de navigation en milieu polaire, identifiée comme priorité dans la stratégie nationale (source). En sus, un fonds d’investissement russe établit à Chypre serait en cours de finali­sation de l’acquisition du chantier naval Arctech Helsinki Shipyard Inc. qui regroupe un cluster de construction navale entre la Finlande et la Russie. Enfin, le décommissionnement de l’Arktika, dont le remplacement serait prévue pour 2021, a été concomitant de la mise à l’eau du brise-glace nucléaire jumeau l’Ural (source). Pour rappel, les commissionnements respectifs de l’Arktika, du Sibir et de l’Ural étaient initialement prévus pour 2020, 2021 et 2022 et leur mise en valeur médiatique est un des déterminants de la communication stratégique russe.

Le gap capacitaire en brise-glaces des garde-côtes américains (USCG) perdu­rerait jusqu’à 2025 malgré les annonces d’acquisition récentes.

Si l’USCG souligne le défi stratégique posé par la Chine en Arctique dans sa récente stratégie, le gap capacitaire relevé par le Commandement militaire pourrait favoriser une augmentation des commandes et l’implication de l’US Navy dans la région.

En avril 2019, les garde-côtes américains ont attribué un contrat au montant fixe de 745 millions de dollars pour le design et la construction d’un premier brise-glace à l’entreprise Halter Marine, détenue par un chantier naval singa­pourien. La construction commencerait en 2021 et le bâtiment serait commissionné en 2024. Le contrat total de 1,945 milliard de dollars comprend uniquement le coût de construction sans la fourniture des équipements qui ferait monter les prix à 950 millions par brise-glace pour un total de 2,95 milliards de dollars (source et source). Huntington Ingalls Industries et General Dynamics n’auraient pas postulé du fait des incohérences entre le budget, les besoins et le cahier des charges. Si de nombreuses interrogations perdurent sur le cahier des charges de la construction, le gap capacitaire des garde-côtes jusqu’à 2025 pourrait justifier une implication croissante de l’US Navy.

La Chine poursuit ses expéditions et expérimentations en Arctique.

Le futut brise-glace Xue Long 2 est un outil stratégique pour la diplomatie scientifique chinoise en Arctique. Si le commissionnement du navire est prévu pour l’été 2019, le Xue Long 2 serait déjà intégré à l’expédition scientifique MOSAIC 2019 qui regroupe 17 pays et près de 600 personnels et scientifiques.

Le Xue Long 2 est le second brise-glace à destination de l’Institut polaire chinois. De production indigène, il serait une pièce maîtresse de la participation chinoise à la recherche arctique ainsi qu’à sa communication stratégique. Son équipement de recherche serait déterminant pour l’expédition MOSAIC 2019 (source) avec des équipements acous­tiques sous-marins, un mat « scientifique », plusieurs laboratoires (deux laboratoires humides, un laboratoire sec et un laboratoire à température basse), une salle de contrôle des activités de recherches, un bureau d’étude. Un nouveau méthanier brise-glace chinois a également pu s’éprouver aux conditions de navigation polaire dans l’Arctique russe. Construit au chantier naval de Guangzhou, le Boris Sokolov permet à Pékin de démontrer ses ambitions relatives aux enjeux énergétiques et maritimes en Arctique (source).

Le Canada rend public le renouvellement de sa flotte arctique

La Marine royale ainsi que la Garde-côte canadiennes vont renouveler leur flotte avec l’acquisition de deux navires de patrouilles extracôtières arctiques et 16 navires polyvalents brise-glaces légers pour un coût total de 12 milliards de dollars américains.

Cette déclaration d’acquisition représente la mise en œuvre de la stratégie nationale de construction navale canadienne afin de favoriser les chantiers navals canadiens (Irving Shipbuilding Inc. et Vancouver Shipyards CO. Ltd. de Seaspan) (source). Sur le plan opérationnel, il s’agit de développer des capacités maritimes permettant un déploiement dans l’ensemble de l’archipel canadien de moyens modernisés et sécurisés. Le programme s’inscrit dans le retour de compétences et capacités « glace » pour la Marine canadienne (source). Les impératifs stratégiques de surveillance, de sécurité des communautés arctiques et de respect de souveraineté ont défini les critères techniques des navires commandés afin de répondre aux besoins de présence militaire (source).

 

Fabien Carlet (IRIS)