La stratégie chinoise pour l’Arctique : première approche
Depuis 1995 et la première expédition scientifique dans l’Arctique, suivie par son adhésion au International Arctic science committe en 1996, la Chine, dotée de moyens accrus grâce à son développement économique et scientifique, s’affirme comme un acteur ambitieux et significatif dans l’Arctique.
Cette montée en puissance répond à plusieurs objectifs. Dans le discours, la notion de bien commun et la question environnementale, construite autour de la problématique du réchauffement climatique qui intéresse directement la Chine, constituent le socle de la justification de l’investissement scientifique de la RPC dans l’Arctique.1Ye Jiang, « China’s Role in Arctic Affairs in the Context of Global Governance », Strategic Analysis 2014, vol. 38 n°6. Cette dimension scientifique n’est pas spécifique à la zone arctique. Elle concerne également l’Antarctique et l’on doit noter que le budget consacré aux expéditions scientifiques dans l’Antarctique est aujourd’hui trois fois plus élevé que celui consacré aux expéditions dans l’Arctique.
Autre élément commun à l’Arctique et à l’Antarctique, qui prend toutefois une importance croissante dans la zone Arctique en raison des tensions potentielles autour des questions territoriales et des rivalités qui s’affirment, la stratégie de la Chine en direction des pôles s’inscrit dans une volonté globale d’affirmation de puissance, tout particulièrement sur mer.
Enfin, une dimension plus spécifique à la zone Arctique est celle de l’intérêt économique qui recouvre notamment les perspectives d’ouverture d’une voie nouvelle plus directe en direction de l’Europe. En 2013, le cargo chinois Yong Sheng a effectué un premier passage par la voie maritime du nord vers l’Europe et Pékin prévoit d’ouvrir une ligne régulière.
Cet intérêt économique pour la zone arctique porte également sur l’exploitation des ressources énergétiques et minières et plus globalement des ressources halieutiques potentielles de la zone. Des accords de coopération en matière minière et énergétique ont d’ores et déjà été signés avec le Groenland qui jouit d’une autonomie croissante, et la Russie. Il s’agit donc pour la Chine de « défendre ses intérêts légitimes » dans l’Arctique tout en niant toute volonté « d’ingérence » dans les affaires intérieures des États riverains.2Idem.
Dans le même temps, les ambitions géopolitiques de la RPC dans la zone arctique ont été exprimées à plusieurs reprises. Pour Liu Cigui, Directeur de l’Administration océanique d’État (海洋局haiyang ju) le renforcement du poids de la Chine dans les affaires polaires accompagne légitimement la montée en puissance de son statut de puissance maritime (海上强国 haishang qiangguo).3Cité par David Scott in « China Coming into the Arctic Shaping a Flanking Strategy », http://www.sldinfo.com, 9 janvier 2015. En visite en Australie en 2014, le Président Xi Jinping a également mentionné le concept de « puissance polaire internationale » (国际极地强国guoji jidi qiangguo) appliqué à la Chine.4« 论深入学习贯彻习近平主席重要讲话精神 » (Lun shenru xuexi guanche xijinping zhuxi zhongyao jianghua jingshen, A propos de l’étude approfondie de l’esprit de l’important discours du Président Xi Jinping), 25 novembre 2014 http://www.oceanol.com/redian/shiping/2014-11-25/38013.html
Pékin n’est pas un État riverain, mais en forgeant le concept de « quasi État arctique » (近北极国家jin beiji guojia, near arctic State), la RPC tente de s’imposer, en jouant de son poids global et de sa position géographique, dans les jeux de puissance en Arctique.
Sur le site en chinois du Bureau pour l’étude des pôles (极地考察办公室jidi kaocha bangongshi), placé sous l’autorité de l’Administration Océanique d’État, la dimension nationaliste et politique de cette stratégie est très présente, avec la mise en valeur des directives du parti communiste et les références au « patriotisme » des expéditions scientifiques.
Il en va de même du nom choisi pour la base scientifique chinoise dans le Svalbard, « Fleuve jaune » (黄河huanghe), et pour le brise-glaces « Dragon des neiges » (雪龙xuelong), tous deux couramment utilisés comme symboles de la puissance chinoise.
La Chine se dote des moyens de cette politique ambitieuse
Au niveau institutionnel, si ses activités scientifiques dans l’Arctique n’ont commencé qu’en 1989 avec la création du Bureau pour l’Étude des pôles, la Chine (alors la République de Chine nationaliste) a signé dès 1925 le Traité du Spitzbergen (Svalbard). En 2013, après sept ans d’attente, la Chine a obtenu le statut d’observateur du Conseil de l’Arctique, aux côtés de la Corée du Sud, du Japon, de Singapour, de l’Inde et de l’Italie.
Depuis le milieu des années 1990, les expéditions scientifiques ont lieu régulièrement, à un rythme de plus en plus rapproché, en 1995, 1999, 2003, 2008, 2012 et 2014, permettant d’étayer par une présence régulière la crédibilité et la légitimité des aspirations chinoises dans la zone. La première station scientifique chinoise permanente a été installée en 2004.
En termes de capacité, la Chine s’est dotée d’un brise-glaces acheté à l’Ukraine. La première expédition scientifique dans l’Arctique du Xuelong a eu lieu en 1999. En 2012 puis en 2014, le bâtiment a effectué deux passages vers l’Europe par la mer de Barents puis par la mer de Bering. La Chine a construit un deuxième brise-glaces, plus petit que le Xuelong, en coopération avec la Finlande, incorporé à la PLAN au mois de janvier 2016.5« China Plans to Build Second Icebreaker », http://www.chinadaily.com.cn/china/2014-01/06/content_17216579.htm. 6Les capacités navales de la Chine en relation avec l’Arctique feront l’objet d’une note ultérieure.
Par ailleurs, si le discours chinois insiste sur la dimension scientifique de son intérêt pour l’Arctique, la dimension militaire ne doit pas être oubliée, même si elle est aujourd’hui limitée par les capacités et la vigilance des États riverains. Pour la première fois, au mois de septembre 2015, coïncidant avec l’organisation d’un grand défilé militaire sur la place Tiananmen, une flottille de la PLAN a pénétré dans la mer de Bering et les eaux arctiques de l’Alaska. De même, la Chine aurait exprimé l’intention, refusée par la Norvège, d’installer un radar puissant dans sa base scientifique du Spitzberg.7« Norway Won’t Let China Build Radar »,
http://www.newsinenglish.no/2014/09/12/norway-wont-let-china-build-radar/.
Ces efforts sont soutenus par un budget en augmentation destiné à la stratégie chinoise en direction des pôles, multiplié par trois entre 1995 et 2015, pour atteindre aujourd’hui 55 millions de dollars.8David Scott, op. cit.
La stratégie arctique de la Chine, marquée par la complexité des enjeux, s’inscrit donc dans une stratégie d’affirmation de puissance qui passe par l’exploitation de multiples moyens : scientifiques, légaux, économiques et militaires.
L’affirmation des ambitions de la Chine en Arctique constitue par ailleurs elle-même l’un des vecteurs de l’affirmation de puissance globale de la Chine. On pourra toutefois s’interroger sur la pérennité de cette ambition – notamment dans sa dimension économique – au cas où l’économie chinoise venait à véritablement marquer le pas, imposant d’autres priorités aux autorités chinoises.
Pour rendre compte de cette complexité, la cartographie de l’ensemble des acteurs de la stratégie chinoise de l’Arctique pourra s’avérer utile.
1. | ↑ | Ye Jiang, « China’s Role in Arctic Affairs in the Context of Global Governance », Strategic Analysis 2014, vol. 38 n°6. |
2. | ↑ | Idem. |
3. | ↑ | Cité par David Scott in « China Coming into the Arctic Shaping a Flanking Strategy », http://www.sldinfo.com, 9 janvier 2015. |
4. | ↑ | « 论深入学习贯彻习近平主席重要讲话精神 » (Lun shenru xuexi guanche xijinping zhuxi zhongyao jianghua jingshen, A propos de l’étude approfondie de l’esprit de l’important discours du Président Xi Jinping), 25 novembre 2014 http://www.oceanol.com/redian/shiping/2014-11-25/38013.html |
5. | ↑ | « China Plans to Build Second Icebreaker », http://www.chinadaily.com.cn/china/2014-01/06/content_17216579.htm. |
6. | ↑ | Les capacités navales de la Chine en relation avec l’Arctique feront l’objet d’une note ultérieure. |
7. | ↑ | « Norway Won’t Let China Build Radar », http://www.newsinenglish.no/2014/09/12/norway-wont-let-china-build-radar/. |
8. | ↑ | David Scott, op. cit. |