Depuis la fin des années 2000, Singapour cherche activement à se donner un rôle et une légitimité arctiques. L’intérêt de Singapour pour l’Arctique s’explique tout d’abord par sa grande expertise dans les affaires maritimes internationales, et son implication de longue date dans les forums internationaux liés à la gouvernance des océans. C’était un acteur-clef des négociations qui ont débouché sur l’adoption de la Convention de Montego Bay sur le Droit de la Mer (1982) et c’est un membre actif de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) qui a abouti à mettre en œuvre le Code Polaire. Singapour s’intéresse de plus aux questions de gouvernance globale avec le désir de mieux comprendre et répondre au changement climatique, en tant qu’île particulièrement vulnérable à la montée des océans. Selon les dires des membres du gouvernement de Singapour, l’intérêt de l’État pour l’Arctique serait donc essentiellement une question de survie1Polar Initiative Policy Brief Series, Arctic 2014: who gets a voice and why it matters, Wilson Center, Polar Initative, Arctic Policies of Japan, South Korea, and Singapore, Aki Tonami, Septembre 2014 https://www.wilsoncenter.org/sites/default/files/FINAL%20CI_140915_Tonami_brief_v1.pdf.
Singapour a postulé officiellement en tant qu’Observateur du Conseil de l’Arctique en décembre 2011. Pour soutenir sa campagne, l’ambassadeur Kemal Siddique a été nommé « envoyé spécial pour les affaires arctiques » au début de l’année 2012. Durant le processus de lobbying, son expertise a été appréciée dans plusieurs Working Groups du Conseil2Storey Ian, « The Arctic Novice: Singapore and the High North », Asia Policy, number 18, July 2014, p. 68 ; Singapour participe aujourd’hui en particulier au groupe de travail du Conseil de l’Arctique sur la prévention des urgences en mer et les réponses à apporter (Emergency Prevention, Preparedness and Response Working Group, EPPR).. Il semble que la campagne diplomatique de Singapour a ainsi été parmi les plus réussies des quatorze prétendants au poste d’Observateur3Storey Ian, Ibid., p. 68.. A la huitième réunion ministérielle de Kiruna, en 2013, le Conseil a accepté sa candidature. Singapour courtise les habitants de l’Arctique en insistant sur l’importance des peuples autochtones, et a organisé une visite d’étude pour des représentants des communautés autochtones à Singapour en juin 2012. En plus de l’assemblée annuelle « Arctic Circle » en Islande, un forum à Singapour s’est tenu en automne 2015 avec le soutien du gouvernement islandais4http://www.arcticcircle.org/arctic-circle-forum-singapore Programme en ligne :
http://www.arcticcircle.org/sites/arcticcircle/files/Arctic%20Circle%20Singapore%20Forum%20Agenda%202015.pdf, autour des questions de navigation, d’infrastructures, de science et de coopération en Arctique.
Pour Singapour, l’Arctique représente cependant avant tout un certain nombre de grandes opportunités économiques et commerciales. Contrairement aux consommateurs géants d’énergie que sont les pays d’Asie du Nord-Est (Chine, Japon, Corée du Sud), Singapour est moins intéressé par les ressources naturelles de l’Arctique que par la vente de technologies maritimes de pointe permettant le forage des hydrocarbures, ainsi que l’accessibilité croissante des eaux de l’Arctique à la navigation. Depuis son indépendance en 1965, Singapour a développé une industrie maritime de rang mondial, qui inclut à la fois des infrastructures portuaires et une ingénierie marine et offshore : construction et réparation navale, industrie de construction offshore, services de support. Singapour souhaite à ce titre démontrer son savoir-faire en matière de construction de plates-formes pétrolières, ce qui lui ouvre des perspectives commerciales pour les produits adaptés aux environnements polaires. Ainsi, l’entreprise Keppel Singmarine a construit pour l’entreprise énergétique russe Lukoil, sept vaisseaux ice-class dont deux brise-glaces en 2008 conçus pour opérer par –45°C. Il s’agissait de la première fois que de semblables navires étaient construits en Asie5« Keppel Singmarine Completes Asia’s First Two Icebreakers for the Arctic », Keppel Corporation, November 3, 2008.. Keppel travaille aujourd’hui à la construction de plates-formes pétrolières autoélévatrices pour les régions froides6Keppel Singmarine – Ice-Class Vessels
http://www.keppelom.com/en/content.aspx?sid=2581. À l’avenir, la construction de vaisseaux de classe « glace » pourrait rester une niche pour les constructeurs de la Cité-État. Singapour souhaite contribuer au développement et à la sécurité des infrastructures portuaires des potentielles routes commerciales arctiques, ainsi qu’à la gestion du trafic à venir, grâce à son expertise de gestion des ports et d’État côtier de l’un des détroits les plus fréquentés du monde (le détroit de Malacca).
Après le port Shanghai, celui de Singapour est le deuxième plus grand dans le monde en termes de trafic de conteneurs. La perspective du développement des routes maritimes arctiques, dont celle de la Route maritime du Nord (RMN), pourrait réduire le temps de navigation de 30 à 50% entre l’Europe et l’Asie. La RMN contournerait le détroit de Malacca, couloir de transit maritime et goulot d’étranglement à fort trafic reliant les océans Indien et Pacifique. Une augmentation du trafic transarctique le long de la RMN pourrait bénéficier aux ports de l’Asie du Nord-Est aux dépends de Singapour. Mais il reste peu probable à court et moyen termes que le trafic de la RMN augmente au point de rivaliser avec les routes maritimes actuelles, et la position de Singapour en tant que puissance maritime internationale semble actuellement sécurisée.
Les diplomates singapouriens définissent modestement leur pays comme un « novice de l’Arctique »7Storey Ian, Ibid., p. 72.. Mais la cité-État possède une grande expérience et expertise dans la navigation, les questions de sauvetage en mer, de technologies offshore, de droit maritime et pourrait de ce fait apporter une grande contribution dans ces domaines aux pays arctiques. D’ici la réévaluation de son statut d’Observateur en 2017, Singapour tentera de devenir un expert de la région.
1. | ↑ | Polar Initiative Policy Brief Series, Arctic 2014: who gets a voice and why it matters, Wilson Center, Polar Initative, Arctic Policies of Japan, South Korea, and Singapore, Aki Tonami, Septembre 2014 https://www.wilsoncenter.org/sites/default/files/FINAL%20CI_140915_Tonami_brief_v1.pdf |
2. | ↑ | Storey Ian, « The Arctic Novice: Singapore and the High North », Asia Policy, number 18, July 2014, p. 68 ; Singapour participe aujourd’hui en particulier au groupe de travail du Conseil de l’Arctique sur la prévention des urgences en mer et les réponses à apporter (Emergency Prevention, Preparedness and Response Working Group, EPPR). |
3. | ↑ | Storey Ian, Ibid., p. 68. |
4. | ↑ | http://www.arcticcircle.org/arctic-circle-forum-singapore Programme en ligne : http://www.arcticcircle.org/sites/arcticcircle/files/Arctic%20Circle%20Singapore%20Forum%20Agenda%202015.pdf |
5. | ↑ | « Keppel Singmarine Completes Asia’s First Two Icebreakers for the Arctic », Keppel Corporation, November 3, 2008. |
6. | ↑ | Keppel Singmarine – Ice-Class Vessels http://www.keppelom.com/en/content.aspx?sid=2581 |
7. | ↑ | Storey Ian, Ibid., p. 72. |