Bulletin Décembre 2019 – Norvège, Suède, Finlande, Russie

La coopération transfrontalière en matière de journalisme menacée à Barents

Un amendement voté par la Douma modifiant les dispositions de la loi sur les médias de masse renforce le contrôle des activités des journalistes russes, notamment les financements provenant de l’étranger. Ces nouvelles dispositions menacent directement la coopération transfrontalière entre journalistes dans la région de Barents.

Durant le mois de novembre 2019, la Douma s’est saisie de la question des financements provenant de l’étranger dans le journalisme. Dans le cadre d’un amendement à la loi « sur les médias », la Douma a adopté par 311 voix pour et quatre abstentions de nouvelles dispositions renforçant le contrôle des activités des journalistes russes et leurs sources de revenus. Désormais, les journalistes bénéficiant de revenus étrangers pourront être labellisés « agent de l’étranger ». Cette décision met en péril la coopération transfrontalière entre les médias au sein de l’espace de Barents.

Le 25 novembre 2019, le Conseil de Fédération (Sovet Federatsii), chambre haute du Parlement russe, a adopté ce nouvel amendement à la loi, préalable à la signature du président russe permettant l’application de ces nouvelles dispositions (Document officiel du Sovet Federatsii). Une fois le texte entré en application, tous citoyens russes recevant de l’argent de l’étranger qui publient ensuite un texte, des photos ou une vidéo peuvent être soumis au dispositif législatif et juridique relatif à la loi « sur les agents étrangers » (The Independent Barents Observer).

Cet amendement met en péril l’ensemble de l’édifice bâti autour de la coopération entre les journalistes nordiques et russes dans la région. Pour Anna Kireeva, présidente de Barents Press Russia, un réseau informel de journalistes basé dans le nord-ouest du pays pour favoriser la coopération transfrontalière avec leurs collègues du nord de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, le risque est désormais réel : « D’après le texte de loi, je peux conclure que les journalistes russes prennent désormais le risque d’être des agents étrangers. Soit quand ils reçoivent des bourses de voyage d’institutions internationales pour faire du journalisme à l’étranger, soit quand ils sont invités à prendre la parole lors d’une conférence internationale alors que ces frais sont payés par l’organisation étrangère » (The Independent Barents Observer).

Récemment, la plate-forme d’information Sever.Realii, lancée en septembre 2019 et soutenue par Radio Liberty, a été labellisée « agent étranger ». Une commission de la Douma a défendu cette décision en raison de « sa justification de l’extrémisme » (The Independent Barents Observer). Plus globalement, Atle Stålesen, journaliste au sein du journal d’information en ligne The Independent Barents Observer, basé à Kirkenes, résume dans un rapport le renforcement du contrôle de l’État russe et la dégradation des conditions du journalisme indépendant en Russie (Rapport du Independent Barents Observer).

Échange de prisonniers entre la Norvège, la Lituanie et la Russie

Le citoyen norvégien Frode Berg, détenu dans la prison de Lefertovo à Moscou depuis fin 2017, a été libéré le 15 novembre 2019. Cette libération est intervenue dans le cadre d’un échange de prisonniers impliquant la Lituanie, la Norvège et la Russie. Cette remise en liberté est perçue comme un geste de détente dans les relations entre Oslo et Moscou.

Frode Berg, citoyen norvégien et détenu dans la prison de Lefertovo à Moscou depuis décembre 2017, est au cœur d’une affaire d’espionnage entre la Norvège et la Russie. Celui-ci a été accusé et jugé par le tribunal de Moscou à 14 ans de prison ferme pour espionnage. Lors de son procès, l’ancien garde-frontière norvégien, en poste dans la ville frontalière de Kirkenes, n’a pas plaidé coupable. Cependant, ce dernier a admis qu’il avait coopéré avec les services de renseignement norvégiens et qu’il s’était rendu en Russie comme courrier, emportant avec lui 3 000 euros en espèces (The Independent Barents Observer). À l’occasion du verdict en avril 2019, son avocat Ilya Novikov restait optimiste quant à une future libération (TASS).

De manière inattendue, la libération de Frode Berg est intervenue dans un cadre diplomatique plus large comprenant un échange de prisonniers entre la Lituanie et la Russie. Ainsi, les détenus lituaniens Evgeny Mataitis et Aristidas Tamosaitis ont accompagné Frode Berg à la frontière entre Kaliningrad et la Lituanie, alors que les détenus russes Nikolai Filipchenko et Sergei Moisejenko ont effectué le chemin inverse. L’annonce a été dévoilée par le directeur de l’agence de sécurité de Lituanie, Darius Jauniskis, lors de sa conférence de presse le 15 novembre 2019. Lors de son retour en Norvège, Frode Berg a eu, à sa demande, plusieurs rencontres avec les services de sécurité – civils et militaires – afin de débriefer (High North News).

Un nouveau projet de méga-mine dans la région de Norilsk

L’entreprise Russkaya Platina a présenté au président russe Vladimir Poutine un projet d’extraction minière dans la région de Norilsk. Dans le cadre d’une joint-venture avec Nornickel, la structure Arctic Palladium projette d’extraire le palladium, dont les réserves sont évaluées à 770 millions de tonnes.

Lundi 18 novembre, le président Vladimir Poutine a reçu, lors d’une entrevue au Kremlin, Musa Bazhaev, président de la société OOO Russkaya Platina. Lors de cet échange, les deux hommes ont évoqué la création d’une joint-venture sous le nom d’Arctic Palladium. Avec un investissement de départ évalué à 15 milliards de dollars, cette nouvelle entité est le fruit de la coopération entre l’entreprise Russkaya Platina et le groupe Nornickel, dirigé par Vladimir Potanine. Le projet vise l’extraction de palladium à proximité de Norilsk, place forte en Russie pour l’extraction de nickel. Selon le président du groupe Russkaya Platina, le développement de ce projet est favorisé par « la consommation de platinoïdes en forte croissance dans le monde, notamment le palladium » (Retranscription officielle de l’entretien au Kremlin). Le palladium est un matériau nécessaire dans la composition des véhicules à moteur essence, à présent en forte croissance face au déclin des ventes de véhicules à moteur diesel.

Le gisement de palladium comprend une réserve totale de 770 millions de tonnes de minerai avec une durée de vie d’exploitation estimée à 55 ans. L’objectif de l’entreprise est d’atteindre une production annuelle de 21 millions de tonnes par an et un chiffre d’affaires évalué à 7 milliards de dollars avec une marge à 53% (soit plus de 3,5 milliards de dollars). Les opérations doivent démarrer dès 2024 (Retranscription officielle de l’entretien au Kremlin). Selon le groupe, l’extraction du minerai s’opérera dans une mine à ciel ouvert avec la construction à proximité d’une usine de traitement et une fonderie (Communiqué de Russkaya Platina).

À l’heure actuelle, le cours de l’once de palladium sur le marché international est évalué à 1 800 dollars. L’ambition est de positionner la Russie comme le leader incontournable dans la production des métaux de platine à terme, lui permettant de contrôler le marché.


Les droits des minorités autochtones menacés dans l’Arctique russe

Le tribunal de la ville de Moscou a annoncé la dissolution de l’ONG russe « Centre d’assistance aux peuples autochtones du Nord ». Cette ONG, créée en 2001, menait des activités relatives aux droits et à la défense des populations autochtones du Nord, de Sibérie et d’Extrême-Orient. Cette décision fait écho aux divers projets d’extraction en cours dans l’Arctique russe.

Le 6 novembre 2019, le tribunal de la ville de Moscou a rendu son verdict dans l’affaire No. Za-5038/2019 concernant l’ONG « Centre d’assistance aux peuples autochtones du Nord » (Tsentr sodeystviya korennym malochislennym narodam Severa). Le verdict est sans appel dans tous les sens du terme. Cette ONG, dont le travail était centré sur les droits et la défense des populations autochtones dans les régions du Nord, de Sibérie et d’Extrême-Orient, sera dissoute (Information judiciaire sur l’affaire No. Za-5038/2019). Cette décision intervient à la suite de la plainte du ministère de la Justice russe, en raison de « multiples » violations de la loi nationale sur les ONG (The Independent Barents Observer).

La liquidation de cette ONG intervient dans un contexte où les projets d’extraction, notamment de minerais, en Arctique se multiplient. Pour Rodion Sulyandziga, son directeur, il existe un lien manifeste : « L’Arctique et ses ressources comptent beaucoup pour le monde des affaires et le budget de l’État russe. C’est pourquoi les entreprises considèrent les minorités autochtones comme un obstacle à leurs activités » (Kommersant).

Transport maritime aux conteneurs par Rosatom sur la route maritime du Nord

Rosatom prévoit d’investir 7 milliards de dollars dans le transport maritime de conteneurs dans l’Arctique pour concurrencer le canal de Suez.

Le groupe russe Rosatom (entreprise d’État russe spécialisée dans le nucléaire, gestionnaire de la flotte de brise-glaces nucléaires et autorité administrative de la NSR) poursuit sa politique de développement et sa stratégie économique fondée sur une diversification concentrique du développement de la route maritime du Nord (RMN).

Rosatom prévoit d’investir 7 milliards de dollars pour devenir l’un des plus importants opérateurs de transport de conteneurs au monde. La société a pour objectif de proposer un service de transport de conteneurs le long de la route maritime du nord de l’Arctique, dans le but de concurrencer le trafic du canal de Suez. Le trafic maritime le long de la côte arctique de la Russie va atteindre un niveau sans précédent, qui devrait avoisiner les 30 millions de tonnes en 2019. Cependant, la grande majorité de ce trafic provient du transport d’hydrocarbures, essentiellement de la péninsule de Yamal. Rosatom est en pourparlers avec la banque VTB, l’une des plus grandes banques du pays, afin d’obtenir 7 milliards de dollars de fonds pour acquérir jusqu’à 55 porte-conteneurs de classe glace et pour moderniser les installations portuaires le long de la NSR. L’année dernière, Rosatom a été nommée responsable des transports, de la sécurité et des infrastructures sur la route maritime du Nord (au détriment historique du ministère des Transports), signe supplémentaire que le rôle de Rosatom le long de cette route devrait se développer dans les années à venir. D’ici la fin de la prochaine décennie, la société envisage de transporter 72 millions de tonnes de fret par an, dont 43 millions seront conteneurisées. En comparaison, le canal de Suez voit transiter environ 980 millions de tonnes de fret, dont 570 millions de conteneurs. Malgré cet effet d’annonce, les experts restent encore très sceptiques sur la viabilité d’une économie rentable du transport de conteneurs dans l’Arctique. Pourtant, cette annonce contribue au narratif russe visant à promouvoir l’intérêt de la route maritime du Nord pour le commerce international. Source : HighNorth News; Vedomosti; Maritime Executive

 

Florian Vidal (GEG) avec des compléments d’Hervé Baudu (ENSM) et Hugo Decis (IRIS)