Gazprom et le Grand Nord

Fin mai 2016, le président Poutine inaugurait par vidéoconférence, et en présence (sur place) d’Alexeï Miller, DG de Gazprom, et d’Alexander Dioukov, DG de Gazprom-Neft (la branche pétrolière de Gazprom, qui détient 95,68 % de ses actions), un terminal pétrolier sur la péninsule de Yamal, Vorota Arktiki (les Portes de l’Arctique). Ce terminal est capable de fonctionner toute l’année dans des conditions extrêmes1Pour un descriptif technique du terminal voir http://www.gazprom.com/press/news/2016/may/article274906/.. Un premier cargo était chargé de pétrole du gisement de Novoportovskoe, un des plus importants de la péninsule de Yamal (pétrole, gaz et condensat), exploité par Gazprom-Neft (le gisement étant situé à 700 km des tubes existants, il a été décidé d’exporter le pétrole par voie maritime, une première dans l’histoire du secteur énergétique russe ; le pétrole étant amené au golfe de l’Ob par un oléoduc d’une centaine de kilomètres)2Un test avait été conduit en 2011 consistant à escorter un tanker par un brise-glaces du port de Sabetta (nord-est de la péninsule de Yamal) à Mys Kamenny. A l’été 2014, pour la première fois dans l’histoire de la Russie, deux tankers opérés par Sovcomflot avaient transporté du pétrole de Yamal (Novoportovskoe) par voie maritime.. Le pétrole, qui devra emprunter la Route maritime du Nord toute l’année, est destiné aux marchés européens.

Cet événement est l’occasion de traiter, selon la demande de l’équipe de pilotage DGRIS, sur fond d’analyse globale des perspectives des projets énergétiques russes dans l’Arctique, du rôle et des intérêts des grands acteurs et opérateurs économiques dans la zone – en l’occurrence Gazprom (et sa filiale Gazprom-Neft), qui, détenteur d’une trentaine de concessions pour différents gisements sur le plateau continental arctique (dont Dolginskoe, Prirazlomnoe, Shtokman), se pose volontiers en « avant-poste de la Russie dans l’Arctique » et « pionnier de la valorisation du plateau continental russe » dans la région3Site Gazprom, 20 décembre 2013. D’autres acteurs seront étudiés dans de prochaines éditions du Bulletin de l’Observatoire, et l’analyse de la politique énergétique régionale de la Russie sera affinée et complétée., considérée comme « une zone d’intérêt stratégique pour les compagnies russes »4Mariia Koutouzova, « Pervye chagi rossiïskikh goskompaniï v Arktike : ‘Gazprom Neft’ » [Les premiers pas des compagnies d’État russes dans l’Arctique : ‘Gazprom Neft’], Pro-Arctic, 26 mai 2014.. La péninsule de Yamal et le gisement de Prirazlomnoe sont deux sites clefs de l’activité de Gazprom dans l’Arctique. Le renforcement de la présence militaire russe (abordé partiellement dans le précédent bulletin) est présenté, dans des monographies de Gazprom-Neft, comme un signe de la préparation de la Russie « à la concurrence la plus rude pour les ressources naturelles des territoires du nord et pour le contrôle de la Route maritime du Nord »5Arktika, sibirskaïa neft’ [Arctique, le pétrole sibérien], Gazprom-Neft, non daté (2013 ?), p. 11..

Officiellement, les ressources pétrolières et gazières des mers de Barents et de Kara sont considérées comme stratégiques par le gouvernement russe, qui marque ces derniers temps une plus grande préoccupation pour l’épuisement des ressources nationales en énergie. Yamal, par exemple, où Gazprom détient un certain nombre de concessions, est ainsi considérée comme « cruciale pour assurer l’accroissement de la production gazière de la Russie après 2010 »6Yamal Megaproject, site de Gazprom, non daté.. Toutefois, une étude de la situation de Gazprom dans l’Arctique suggère que le gouvernement russe, au-delà de l’affichage, a certainement des arrière-pensées quant aux opportunités immédiatement offertes par la région.

Figure n°1 : Réserves et ressources exploitées7Source : http://www.gazprom.com/about/production/projects/mega-yamal/dans la péninsule de Yamal et les golfes de l’Ob et de Taz

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Les projets de Gazprom dans l’Arctique

La politique russe de développement des hydrocarbures de l’Arctique a jusqu’à ce jour été hautement centralisée, reflétant l’importance du secteur de l’énergie dans la politique économique et la politique étrangère de Moscou. Les décisions stratégiques sont clairement prises au niveau du Kremlin davantage qu’à celui des ministères techniques. En témoigne d’ailleurs la proximité entre les responsables des grandes compagnies engagées dans des projets dans l’Arctique et Vladimir Poutine (qu’il s’agisse d’Alexeï Miller, le DG de Gazprom, ou d’Igor Setchine, président du conseil d’administration de Rosneft). Par ailleurs, en l’état actuel des choses, seuls Gazprom, Rosneft et Zaroubejneft remplissent les conditions, établies en 2008, nécessaires pour bénéficier de droits exclusifs aux licences offshore (participation majoritaire de l’État, cinq ans minimum d’expérience d’activité sur le plateau continental national, capacité à faire valoir les moyens techniques et financiers nécessaires). Ces sociétés reçoivent des concessions sans appel d’offres. Le bien-fondé de cette configuration a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion interne assez vive au sein des élites politiques et économiques – certains la considérant contre-productive8Heather A. Conley, Caroline Rohloff, The New Ice Curtain, Russia’s Strategic Reach to the Arctic, CSIS, août 2015, p. 32.. Aujourd’hui, le gouvernement russe semble disposer à envisager un assouplissement au profit des privés (le ministère de l’Environnement a ainsi pu indiquer que si seuls Gazprom et Rosneft étaient autorisés à développer le plateau continental, l’entreprise prendrait au minimum… 165 ans) ; selon le président russe, cette approche serait d’ores et déjà acquise au niveau du président russe9« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f » [Gazprom appelle Loukoil sur le plateau continental], Gazeta.ru, 19 mai 2015..

Gazprom obtient déjà une partie de son gaz au-delà du cercle polaire. Des champs d’hydrocarbures (gaz essentiellement) sont en exploitation depuis les années 1960. C’est le cas notamment des ressources de Yamal, en exploitation depuis le début des années 1980 et déjà la région productrice de gaz la plus importante en Russie (fournissant plus de 85 % du gaz naturel russe et représentant environ 20 % de l’offre de gaz globale)10Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 25.. Yamal, décrit par Alexeï Miller comme « l’avenir de l’industrie gazière russe »1122 décembre 2014, site de Gazprom., est une région clef dans les projets de développement de Gazprom, qui y détient un certain nombre de licences d’exploitation (Bovanenkovo, Kharasaveïskoe, Novoportovskoe, Krouzenchternskoe, Severo-Tambeïskoe, Zapadno-Tambeïskoe, Tasiïskoe, Malyginskoe). En 2002, Gazprom a conçu, avec l’administration de l’okroug autonome des Yamalo-Nenets, sur instruction du président et du gouvernement russes, un Programme de valorisation des gisements de la péninsule de Yamal et des eaux territoriales attenantes, adapté à plusieurs reprises par la suite. Toutefois les problèmes liés au transport, aux infrastructures et à la faible rentabilité de l’extraction continuent de ralentir le rythme des projets.

Parmi les projets « installés », figure le gazoduc Yamal-Europe, dont la construction a commencé en 1994. La première section du gazoduc est opérationnelle depuis 1999 ; elle achemine le gaz du gisement d’Ourengoï dans la région des Yamalo-Nenets vers les marchés d’Europe centrale (une seconde branche est en discussion plus ou moins nourrie depuis 2005). Du gaz de la péninsule de Yamal doit aussi être versé au gazoduc Nord Stream (au même titre que des ressources des baies de l’Ob et du Taz, et, à un horizon plus éloigné, de Shtokman, voir infra). Gazprom exploite par ailleurs depuis 2013 le champ gazier de Bovanenkovo, le plus important en termes de réserves (4,9 trillions de mètres cube12www.gazprom.ru ).

Gazprom-Neft est aussi l’opérateur du projet d’exploitation du champ pétrolifère de Prirazlomnoe13La licence sur le gisement a été confiée à une autre filiale de Gazprom (propriétaire à 100 %), Gazprom Neft Shelf (Mariia Koutouzova, op. cit.)., qui est l’unique projet russe de production d’énergie sur le plateau Arctique en offshore mobilisant une plate-forme pétrolière stationnaire. L’exploitation a commencé en décembre 2013, amenant Gazprom à évoquer le « début d’un travail d’envergure de ‘Gazprom’ en vue de la création dans la région d’un grand centre d’extraction de ressources énergétiques »14Site Gazprom, 20 décembre 2013.. Le gisement est situé dans la mer de Petchora, à 60 km de la rive. Gazprom escompte un rendement de près de 6 millions de tonnes par an (après 2020) ; ses réserves en pétrole sont estimées à 71,96 millions de tonnes15« ‘Gazprom’ natchal dobyvat’ neft’ v Arktike » [Gazprom commence à produire du pétrole dans l’Arctique], Vedomosti, 20 décembre 2013.. Les premières exportations à partir de la plate-forme Prirazlomnaïa, qui a produit plus de 800 000 tonnes de pétrole en 201516« Gazprom: Arctic Offshore Oil More than Doubled at Russia’s Prirazlomnaya », www.adn.com, 17 février 2016. Pour 2016, le PDG de Gazprom Neft Shelf escompte un doublement de la production. Le pic de production est prévu aux alentours de 2020., ont été effectuées en 2014. Le président Poutine marquera d’ailleurs sa satisfaction au lancement du projet : « C’est en fait le début d’un énorme travail de notre pays sur la production pétrolière en Arctique. Le projet tout entier exercera l’influence la plus encourageante sur la présence de la Russie sur les marchés de l’énergie et stimulera l’économie russe en général et son secteur énergétique en particulier »17Cité in Ari Phillips, « In Russia, World’s First Ice-Resistant Oil Platform Starts Production », http://thinkprogress.org, 21 avril 2014.. Sovcomflot a construit deux tankers pétroliers spécialement conçus pour Prirazlomnoe18Mariia Koutouzova, op. cit.. Selon certaines évaluations, le projet, qui aurait bénéficié d’un soutien appuyé du gouvernement notamment sous forme d’avantages fiscaux, n’ajouterait guère plus d’1 % à la production pétrolière de la Russie à l’horizon 2020. La question à se poser réside donc dans la valeur avant tout symbolique et politique que revêtirait le projet aux yeux d’un gouvernement russe soucieux de se positionner par des entreprises marquantes dans l’Arctique, sans que la rentabilité effective soit la motivation la plus importante19Ari Phillips, op. cit..

Un autre projet sur le plateau continental, dont Gazprom escompte qu’il portera ses premiers fruits en 2021, porte sur des recherches géologiques sur le gisement Dolginskoe (mer de Petchora), dont Gazprom-Neft est l’opérateur (pour évaluation technique et économique20Les spécialistes de la compagnie supposent que les réserves de pétrole du gisement pourraient dépasser les 140 millions de tonnes (Mariia Koutouzova, op. cit.). ). La production serait assurée par la filiale Gazpromneft-Sakhaline (qui, comme son nom ne l’indique pas, a pour principale zone d’activité le plateau continental arctique21Elle évalue actuellement différents gisements en mers de Barents, Kara et de Sibérie orientale (Ibid). ). Le gisement se trouvant à 50-60 kilomètres de Prirazlomnoe, Gazprom-Neft envisageait, en 2013, la formation, sur la base des deux gisements, d’un centre d’extraction pétrolière dans la mer de Petchora22Arktika, sibirskaïa neft’, op. cit., p. 24.. Gazprom-Neft, en quête d’expertise et d’expérience de travail en offshore sur un gisement qui nécessitera le recours à plusieurs plates-formes, serait en négociation avec deux compagnies étrangères pour l’exploitation de ce gisement23Mariia Koutouzova, op. cit..

En mai 2014, Gazprom a établi une alliance avec la compagnie privée Loukoil (plus importante compagnie pétrolière privée russe, elle produit également du gaz24En 2014, la société avait extrait du gaz pour un volume supérieur à 20 milliards de mètres cube (« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit.). ). Loukoil présente entre autres avantages celui d’avoir déjà une expérience de travail sur le plateau continental national (Caspienne). Aux termes de cette alliance, les deux acteurs entendent développer des projets communs dans les okgroug autonomes des Nenetsk et des Yamalo-Nenetsk25Ibid. L’alliance, concentrée dans cette phase initiale sur la mer de Barents, concerne aussi des projets en mer Caspienne, en Sibérie orientale et en Extrême-Orient., se soutenir mutuellement dans des appels d’offres pour des projets offshore (notamment dans la mer de Barents). Il s’agit en particulier de contrer Rosneft, hostile à la libéralisation des réglementations régissant l’exploitation des gisements dans l’Arctique26Ibid. Rosneft considère que cela dissuaderait les partenaires étrangers de s’engager dans des projets en Arctique, dans un contexte déjà défavorable du fait des sanctions. Or, Gazprom comme Rosneft sont intéressés à cette libéralisation pour pouvoir bénéficier de l’expertise et de la technologie étrangères pour l’exploration et l’exploitation offshore (Alexander Panin, « Changes in Regulations Could Help Break the Offshore Ice », Moscow Times, 2 février 2014). Rosneft a par ailleurs déposé, en juillet 2015, au ministère de l’Énergie un « Concept de développement du marché gazier interne » dans lequel il propose de couper Gazprom en deux branches d’ici à 2025 – une branche transport, une branche production (www.energy-experts.ru, 12 octobre 2015), marquant la rudesse des conflits internes., et la puissante influence d’Igor Setchine27« Gazprom, Lukoil in Arctic Alliance », BarentsObserver, 20 mai 2015., ainsi que la concurrence de Novatek (en pointe sur le projet Yamal GNL)28« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit. Rosneft et Novatek, les deux plus importants producteurs de gaz après Gazprom (en 2014 Novatek, qui exploite plusieurs gisements d’importance et développe sa place sur le marché national, avait produit 62,13 milliards de mètres cube, Rosneft – 56,7), œuvrent auprès du gouvernement pour casser le monopole de Gazprom sur les exportations de gaz par gazoducs et, désireux d’exporter de manière autonome leur gaz, militent pour la libéralisation de ces exportations.. Cela doit aussi permettre à Loukoil de s’engager dans l’Arctique en dépit de son statut privé, ce pour quoi elle milite depuis des années29« Lukoil Teams Up with Gazprom in Barents », BarentsObserver, 16 juin 2014. Cet article rappelle qu’initialement, les responsables de Loukoil n’avaient pas montré un intérêt démesuré pour l’Arctique, se disant plus « motivés » par le développement de gisements en Sibérie.. Les deux acteurs envisagent l’établissement d’une JV (66 % Gazprom / 34 % Loukoil) pour le développement du gisement de Medvezhe (en mer de Barents30Ressources estimées à 183 milliards de mètres cube de gaz et 2 millions de tonnes de condensat de gaz (« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit.). ), de même qu’un partenariat sur le développement de trois gisements pour lesquels Gazprom a acquis des licences en 2013 (Demidovsky31Réserves estimées à 275,5 milliards de mètres cube de gaz (Ibid)., Fersmanovsky32Réserves estimées à 945 milliards de mètres cube de gaz (Ibid)., Ledovy)33« Gazprom, Lukoil in Arctic Alliance », BarentsObserver, 20 mai 2015.. Toutefois Gazprom-Neft coopère avec Rosneft sur le développement des gisements de Messoyakha.

En 2011, Gazprom a signé avec Sovcomflot un accord sur la location pour quinze ans de deux tankers GNL pour le transport des ressources du projet Sakhaline-II (mer d’Okhotsk) et (à terme long) du projet Shtokman.

Revers et difficultés

Si Gazprom bénéficie du soutien direct – et de son accès non moins direct – au Kremlin, il doit néanmoins gérer des contestations quant à son activité en Arctique. La société a développé des projets à caractère philanthropique (construction de centres sportifs par exemple) dans l’Arctique, qui semblent plutôt bien accueillis par les populations locales34Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 35.. Ils ne suffisent cependant pas à dissiper l’hostilité marquée par certains au développement d’infrastructures dans la région – comme c’est le cas des Nenets, inquiets des effets que certains projets pourraient avoir sur leur mode de vie traditionnel35Ces points pourront faire l’objet d’un développement à part dans un futur bulletin.. Gazprom doit également faire face aux actions des militants écologistes – on pense notamment à celles de Greenpeace contre la plate-forme Prirazlomnaïa, établie en 2012, que les militants contestent aussi bien pour ses possibles nuisances pour l’environnement que pour son intérêt économique présumé36Voir les arguments de Greenpeace http://energie-climat.greenpeace.fr/10-tres-bonnes-raisons-dagir-contre-la-plate-forme-petroliere-prirazlomnaya-de-gazprom.. Entre autres exemples, Gazprom fait aussi face à l’union de protection des oiseaux de Russie, inquiète des effets de l’exploitation du pétrole sur le plateau continental des mers du Nord sur l’environnement de l’Arctique37« ‘Gazprom’ natchal dobyvat’ neft’ v Arktike », op. cit..

La conjoncture internationale pèse aussi sur les projets de Gazprom – et de tous les autres opérateurs nationaux – en Arctique, même si le gouvernement russe offre des discours ambitieux sur certains projets en cours pour « marquer » la présence de la Russie dans ce qu’elle voit comme la « course aux hydrocarbures » dans le Grand Nord. Le soutien de l’État pourrait à cet égard s’avérer moins appuyé, le discours des officiels russes s’étant réorienté vers une forme de reconnaissance tacite que les horizons de l’exploitation des ressources de l’Arctique s’inscrivent dans un terme long (alors que jusqu’à il y a peu ce même discours insistait sur le fait qu’il s’agissait d’un enjeu d’une importance critique lié au besoin de pallier l’épuisement des gisements pétroliers de Sibérie occidentale). Le terme au-delà duquel le poids des ressources Arctique dans la production d’énergie russe est appelé à croître s’est éloigné (pas avant les années 2030). Avant sa disparition, l’ancien Premier ministre Evgeniï Primakov, réputé toujours conseiller Vladimir Poutine sur différents enjeux, avait suggéré de faire une pause dans le développement des gisements gaziers et pétroliers dans l’Arctique – à l’instar d’autres pays riverains de l’Arctique (États-Unis, Canada)38Trude Pettersen, « Ex-Minister Suggests Pause in Russian Arctic Oil », BarentsObserver, 14 janvier 2015..

De fait, sur fond de bouleversements du marché mondial de l’énergie (notamment la « révolution du gaz de schiste » aux États-Unis, et dans une autre mesure la baisse de la demande européenne), le développement des projets dans l’Arctique est tellement onéreux qu’il peut facilement devenir aléatoire. Selon l’AIE, le coût de l’exploitation des ressources en Arctique est de 40 à 100 $ le baril, contre 10 à 40 au Moyen-Orient. Cela a conduit les compagnies russes à rechercher des partenariats internationaux (investissements, technologies). La chute des prix du brut à partir de l’automne 2014 et la profonde détérioration des relations entre la Russie et l’Occident consécutive au conflit en Ukraine se sont évidemment associées à ces problèmes pour faire stagner les projets de Gazprom en Arctique. En juin 2015, Total a annoncé sa décision de restituer à Gazprom sa participation de 25 % dans le projet gazier Shtokman39Il s’agit d’un des champs gaziers les plus importants au monde, avec environ 3,9 trillions de mètres cube de gaz naturel et 56 millions de tonnes de condensat de gaz., en mer de Barents (accord de 2008). L’accord Gazprom-Total (et Gazprom-Statoil, participation de 24 %) impliquait des transferts de technologies dans des segments où la Russie n’a pas les compétences (plates-formes de forage, usines de production pour le GNL). Le gaz devait être exporté vers la Baltique (Nord Stream) via Mourmansk et la péninsule de Kola, et vers les marchés américains (par conteneurs). Mais le projet a été suspendu en 2012 jusqu’à une date indéterminée du fait de la concurrence de l’offre de GNL moyen-oriental et nord-africain et du coût élevé de l’extraction, l’ensemble rendant le projet peu rentable40Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 27.. Gazprom (Gazprom Global LNG) et Sovcomflot avaient signé un accord, en 2011, par lequel le premier louait au second, désireux de développer ses activités dans le transport de GNL, deux conteneurs de GNL (classe Atlanticmax) devant desservir Sakhalin‑II et Shtokman (sur lequel les deux compagnies avaient signé un accord de coopération en juin 2010).

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1. Pour un descriptif technique du terminal voir http://www.gazprom.com/press/news/2016/may/article274906/.
2. Un test avait été conduit en 2011 consistant à escorter un tanker par un brise-glaces du port de Sabetta (nord-est de la péninsule de Yamal) à Mys Kamenny. A l’été 2014, pour la première fois dans l’histoire de la Russie, deux tankers opérés par Sovcomflot avaient transporté du pétrole de Yamal (Novoportovskoe) par voie maritime.
3. Site Gazprom, 20 décembre 2013. D’autres acteurs seront étudiés dans de prochaines éditions du Bulletin de l’Observatoire, et l’analyse de la politique énergétique régionale de la Russie sera affinée et complétée.
4. Mariia Koutouzova, « Pervye chagi rossiïskikh goskompaniï v Arktike : ‘Gazprom Neft’ » [Les premiers pas des compagnies d’État russes dans l’Arctique : ‘Gazprom Neft’], Pro-Arctic, 26 mai 2014.
5. Arktika, sibirskaïa neft’ [Arctique, le pétrole sibérien], Gazprom-Neft, non daté (2013 ?), p. 11.
6. Yamal Megaproject, site de Gazprom, non daté.
7. Source : http://www.gazprom.com/about/production/projects/mega-yamal/
8. Heather A. Conley, Caroline Rohloff, The New Ice Curtain, Russia’s Strategic Reach to the Arctic, CSIS, août 2015, p. 32.
9. « ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f » [Gazprom appelle Loukoil sur le plateau continental], Gazeta.ru, 19 mai 2015.
10. Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 25.
11. 22 décembre 2014, site de Gazprom.
12. www.gazprom.ru
13. La licence sur le gisement a été confiée à une autre filiale de Gazprom (propriétaire à 100 %), Gazprom Neft Shelf (Mariia Koutouzova, op. cit.).
14. Site Gazprom, 20 décembre 2013.
15. « ‘Gazprom’ natchal dobyvat’ neft’ v Arktike » [Gazprom commence à produire du pétrole dans l’Arctique], Vedomosti, 20 décembre 2013.
16. « Gazprom: Arctic Offshore Oil More than Doubled at Russia’s Prirazlomnaya », www.adn.com, 17 février 2016. Pour 2016, le PDG de Gazprom Neft Shelf escompte un doublement de la production. Le pic de production est prévu aux alentours de 2020.
17. Cité in Ari Phillips, « In Russia, World’s First Ice-Resistant Oil Platform Starts Production », http://thinkprogress.org, 21 avril 2014.
18, 23. Mariia Koutouzova, op. cit.
19. Ari Phillips, op. cit.
20. Les spécialistes de la compagnie supposent que les réserves de pétrole du gisement pourraient dépasser les 140 millions de tonnes (Mariia Koutouzova, op. cit.).
21. Elle évalue actuellement différents gisements en mers de Barents, Kara et de Sibérie orientale (Ibid).
22. Arktika, sibirskaïa neft’, op. cit., p. 24.
24. En 2014, la société avait extrait du gaz pour un volume supérieur à 20 milliards de mètres cube (« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit.).
25. Ibid. L’alliance, concentrée dans cette phase initiale sur la mer de Barents, concerne aussi des projets en mer Caspienne, en Sibérie orientale et en Extrême-Orient.
26. Ibid. Rosneft considère que cela dissuaderait les partenaires étrangers de s’engager dans des projets en Arctique, dans un contexte déjà défavorable du fait des sanctions. Or, Gazprom comme Rosneft sont intéressés à cette libéralisation pour pouvoir bénéficier de l’expertise et de la technologie étrangères pour l’exploration et l’exploitation offshore (Alexander Panin, « Changes in Regulations Could Help Break the Offshore Ice », Moscow Times, 2 février 2014). Rosneft a par ailleurs déposé, en juillet 2015, au ministère de l’Énergie un « Concept de développement du marché gazier interne » dans lequel il propose de couper Gazprom en deux branches d’ici à 2025 – une branche transport, une branche production (www.energy-experts.ru, 12 octobre 2015), marquant la rudesse des conflits internes.
27, 33. « Gazprom, Lukoil in Arctic Alliance », BarentsObserver, 20 mai 2015.
28. « ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit. Rosneft et Novatek, les deux plus importants producteurs de gaz après Gazprom (en 2014 Novatek, qui exploite plusieurs gisements d’importance et développe sa place sur le marché national, avait produit 62,13 milliards de mètres cube, Rosneft – 56,7), œuvrent auprès du gouvernement pour casser le monopole de Gazprom sur les exportations de gaz par gazoducs et, désireux d’exporter de manière autonome leur gaz, militent pour la libéralisation de ces exportations.
29. « Lukoil Teams Up with Gazprom in Barents », BarentsObserver, 16 juin 2014. Cet article rappelle qu’initialement, les responsables de Loukoil n’avaient pas montré un intérêt démesuré pour l’Arctique, se disant plus « motivés » par le développement de gisements en Sibérie.
30. Ressources estimées à 183 milliards de mètres cube de gaz et 2 millions de tonnes de condensat de gaz (« ‘Gazprom’ zovet ‘LOuKoil’ na chel’f », op. cit.).
31. Réserves estimées à 275,5 milliards de mètres cube de gaz (Ibid).
32. Réserves estimées à 945 milliards de mètres cube de gaz (Ibid).
34. Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 35.
35. Ces points pourront faire l’objet d’un développement à part dans un futur bulletin.
36. Voir les arguments de Greenpeace http://energie-climat.greenpeace.fr/10-tres-bonnes-raisons-dagir-contre-la-plate-forme-petroliere-prirazlomnaya-de-gazprom.
37. « ‘Gazprom’ natchal dobyvat’ neft’ v Arktike », op. cit.
38. Trude Pettersen, « Ex-Minister Suggests Pause in Russian Arctic Oil », BarentsObserver, 14 janvier 2015.
39. Il s’agit d’un des champs gaziers les plus importants au monde, avec environ 3,9 trillions de mètres cube de gaz naturel et 56 millions de tonnes de condensat de gaz.
40. Heather A. Conley, Caroline Rohloff, op. cit., p. 27.