Les ressources pétrolières et gazières dans l’Arctique

La publication du rapport de l’USGS, en 2008, sur les richesses pétrolières et gazières en Arctique1

Ce développement reprend et commente les arguments présentés dans la monographie suivante : Morgunova Maria, Westphal Kirsten, « Offshore Hydrocarbon Resources in the Arctic. From Cooperation to Confrontation in an Era of Geopolitical and Economic Turbulence? », SWP Research Paper 2016/RP 03, February 2016, 30 p., http://www.swp-berlin.org/en/publications/swp-research-papers/swp-research-paper-detail/article/offshore_hydrocarbon_resources_in_the_arctic.html, avait provoqué un intérêt accru des compagnies pétrolières et des médias pour ce qui était présenté comme un futur « eldorado ». L’exploration des ressources en Arctique date en réalité de plus de 90 ans, mais les conditions terriblement exigeantes dans la zone nécessitaient des investissements très importants et la maîtrise de technologies élaborées. La chute des cours du pétrole a eu un impact majeur sur les projets d’exploitation dans l’Arctique. À cela s’ajoutent les tensions diplomatiques avec la Russie, liées à la crise ukrainienne.

Sur le plan économique, les retours sur investissements ne sont pas probants, comme l’indique le tableau suivant :

Figure n°1 : Délai moyen entre la découverte et la production pour le pétrole et le gaz

  Canada Canada

Newfoundland

Norvège Russie États-Unis États-Unis

(Cook inlet)

Nbre de champs en production 0 3 2 2 6 5
D-to-P moyen 17,7 13,5 28,5 8,5 11,4
Nbre de champs en exploration 0 1 3 7 2
D-to-P moyen

estimé

14,3 29,5 37
D-to-P moyen 22,3 14 29,3 15,6

En 2008, avant la crise économique et au début de l’« Arctic rush », le coût d’exploitation des ressources dans la zone était évalué entre 40 et 100$ le baril pour un prix du pétrole qui se situait alors entre 80 et 90$ le baril. Les prévisions de production de pétrole dans l’Arctique étaient alors relativement modestes – 200 000 barils par jour à l’horizon 2035. De nombreuses compagnies s’étaient associées pour explorer et exploiter ces champs, compte tenu de l’ampleur des investissements à réaliser. Certaines de ces « joint-venture » n’ont pas survécu à la chute des cours. La plus emblématique étant celle qui réunissait Gazprom, Statoil et Total pour l’exploitation du champ de Shtokman en mer de Barents. Statoil se désengagea dès 2012, suivie par Total en juin 2015 qui revendit ses parts (25%) à Gazprom.

En février 2016, l’offre en pétrole était excédentaire de 1,5 à 2 millions de barils jour sur le marché mondial. L’arrivée du pétrole iranien sur les marchés ne favorisera pas la remontée des prix. Cette volatilité représente un risque important pour les compagnies et pour certains pays comme la Norvège, dont la richesse dépend de ses ressources énergétiques. Aujourd’hui, certains établissements bancaires refusent de financer des projets dans l’Arctique en raison des risques élevés et de l’absence de visibilité, et les principales majors pétrolières ont suspendu leurs projets, les dernières ayant été Statoil et Gazprom.

Les exploitations de gaz dans l’Arctique connaissent une évolution légèrement différente. Leurs prix, bien qu’ayant baissé, restent encore compétitifs et les projets gaziers russes en Arctique ne sont pas soumis aux sanctions de l’UE.

Figure n°2 : Champs de gaz et de pétrole en production en Arctique et de Terre-Neuve (en millions de TEP)

Pays Champ Ressource Réserves * Début expl. Opérateur
Canada N.T. Hibernia Pétrole 96 1997 ExxonMobil
Canada N.T. Terra Nova Pétrole 55 2002 Petro-Canada
Canada N.T. White Rose Pétrole/gaz 30 2005 HuskyEnergy
Norvège mer de Barents Snohvit Gaz 194 2007 Statoil
Norvège mer de Norvège Skuld Pétrole/gaz 12 2013 Statoil
Russie mer de Pechora Prirazlomnoe Pétrole 72 2013 Gazprom
Russie Yamal Yurkharovs-

koye

Gaz 424 2003 Novatek
US mer de Beaufort Northstar Pétrole 24 2001 BP/Hilcorp
US mer de Beaufort Endicott Pétrole 65 1986 BP/Hilcorp
US North Slope Pt.McIntyre Pétrole 46 1993 BP
US North Slope Nikaitchuq Pétrole 30 2011 Eni
US North Slope Oooguruk Pétrole 9,5 2008 Pionner Natural Resources
US North Slope Badami Pétrole 16,4 1998 BP

Les divergences d’intérêts sur la politique énergétique entre les cinq nations Arctique

La Norvège est considérée comme le leader mondial en matière d’exploration d’hydrocarbures dans l’Arctique. La mer de Barents offre de bonnes perspectives d’exploitation pour l’avenir maintenant que le différend frontalier avec la Russie a été réglé entre les deux pays. Goliat, le champ découvert en 2009, devrait commencer à produire cette année. La Norvège est un partenaire clé de l’UE qui cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement et lui assure un débouché pérenne.

L’exploitation des hydrocarbures de l’Arctique est stratégique pour la Russie, dont la plupart des ressources se situent dans le nord. La majorité des champs dans l’Arctique russe ont été découverts dans les années 1980 et ont nécessité une trentaine d’années pour pouvoir être exploités. Cette durée s’était récemment réduite avec l’arrivée des majors occidentales qui ont apporté leurs technologies. La crise ukrainienne a suspendu ces relations et les transferts de technologie dont les Russes ont besoin. La plupart des prospections sont aujourd’hui suspendues et la production russe devrait se limiter aux deux champs actuellement en exploitation, à l’exception du projet gazier de Yamal.

Aux États-Unis, six champs sont actuellement exploités, mais la situation reste figée : les nouvelles autorisations de licences pour 2016 et 2017 ont été annulées. Les États-Unis ne trouvent qu’un intérêt limité à investir dans l’Arctique, ayant d’autres sources d’approvisionnement avec les gaz de schistes à des prix concurrentiels et reportent d’une décennie, au moins, les futures explorations. Rien ne presse.

Les champs exploités au Canada se situent en-dessous du Cercle Arctique. Le pays n’a pas de projets d’exploration en Arctique. Le champ d’Amauligak (pétrole et gaz), découvert en 1984, attend toujours une décision de financement. Comme les États-Unis, le Canada a d’autres sources d’énergie et une exploration dans l’Arctique ne pourrait pas être compétitive.

Le Danemark n’a pas encore trouvé de pétrole ni de gaz offshore dans les environs du Groenland jusqu’à présent. Cairn Energy poursuit ses explorations tandis que Statoil et Dong ont rendu leurs licences.

Conclusion

Les défis technologiques de l’exploration pétrolière et gazière en Arctique avaient rapproché les états arctiques et plus globalement les pays occidentaux et la Russie. Ces défis partagés avaient un effet plutôt stabilisateur dans la région. Cette situation a vécu avec la crise ukrainienne. Les sanctions prises par l’UE et les États-Unis auront des conséquences à long terme sur le développement des programmes de recherche en Arctique et sur les ambitions de la Russie de régenter les marchés pétroliers et gaziers. Elles finiront par se traduire par une nouvelle hausse des hydrocarbures faute d’avoir pu mener à bien les investissements nécessaires. Tout dépendra de la durée des sanctions, mais leur maintien sur une longue période pourrait avoir un effet négatif sur les économies européennes.

Voir également le développement sur la Russie, consacré à Gazprom et le Grand Nord.

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1.

Ce développement reprend et commente les arguments présentés dans la monographie suivante : Morgunova Maria, Westphal Kirsten, « Offshore Hydrocarbon Resources in the Arctic. From Cooperation to Confrontation in an Era of Geopolitical and Economic Turbulence? », SWP Research Paper 2016/RP 03, February 2016, 30 p., http://www.swp-berlin.org/en/publications/swp-research-papers/swp-research-paper-detail/article/offshore_hydrocarbon_resources_in_the_arctic.html