Les transformations radicales de l’environnement arctique

Une accélération du réchauffement de l’Arctique depuis 30 ans

Le réchauffement de l’air de surface de l’Arctique a trois caractéristiques principales. Il est tout d’abord plus rapide (taux d’augmentation de la température) que dans le reste du monde depuis 19661Center for Climate and Energy Solutions, Climate Change and International Security: The Arctic as a Bellwether, may 2012.. Ensuite, le niveau de réchauffement de l’Arctique dépasse celui de la température moyenne de la Terre depuis 2002. Le graphique ci-dessous illustre ce double constat.

Figure n°1 : Évolution des températures moyennes (sur 5 ans) mondiales et de l’Arctique2Source : https://www.climate.gov/news-features/featured-images/arctic-continues-be-significantly-warmer-average

1

Enfin, le réchauffement de l’Arctique n’est pas homogène. Plusieurs points chauds ressortent de la collecte des données (notamment une large zone allant du détroit de Béring à la mer des Laptev, en incluant la mer de Sibérie orientale, ou encore une grande partie de l’archipel arctique canadien), tandis que certaines zones (dont l’Europe du Nord et le Svalbard) se refroidissent légèrement ou se stabilisent.

Vers une disparition de la banquise arctique estivale ?

La première évaluation du changement climatique en Arctique et de ses impacts provient de l’Arctic Climate Impact Assessment (ACIA), initié par le Conseil de l’Arctique. Résultat d’un travail de trois ans, la syn­thèse du rapport (« Impacts of a Warming Arctic ») est publiée fin 2004, et le rapport scientifique en 2005.

Figure n°2 : Taux de la diminution de la surface de banquise arctique en mars et en septembre comparés à la moyenne pour ces deux mois de la surface de banquise entre 1981 et 20103Source : Arctic Report Card 2015.

2

Ce travail est mis à jour annuellement par les équipes du National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA – US), via le site de l’Arctic Report Card. Seules des informations soumises à une vérification par les pairs (peer-review) y figurent. La mise à jour 2015 a été publiée4http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/ en décembre 2015.

La perte de surface de banquise est surtout notable en été. La figure précédente illustre les variations en pourcentage des surfaces moyennes de banquise en mars et septembre, comparées à la surface moyenne de banquise pendant ces deux mois respectifs entre 1981 et 2010. Dans cet intervalle, la superficie de banquise diminue en moyenne de 2,6 % par décade en mars, et de 13,4 % par décade en septembre. En surface, le rétrécissement de la banquise le plus spectaculaire a été constaté en 2012 (suivi de 2007 puis 2011). Au mois de septembre 2015, la banquise couvrait 4,41 millions de km2 soit une surface inférieure de plus d’un tiers à la moyenne des mois de septembre entre 1979 et 20005http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/sea_ice.html. A la fin de l’hiver, la banquise triple de volume (autour de 15 millions de km2 en moyenne, et 14,54 millions de km2 en février 2015). La surface de la banquise en février6Ce maximum de surface de banquise en 2015 a été atteint avec 15 jours d’avance en comparaison de la date moyenne d’extension de la glace de mer entre 1981 et 2010. 2015 était de 7 % inférieure à la moyenne des mois de mars entre 1981 et 2010, ce qui confirme l’influence surtout estivale du changement climatique sur les glaces arctiques, bien que la tendance décroissante en hiver soit également considérée comme significative par les scientifiques.

Figure n°3 : Surface de la banquise en Arctique (km2) en 2012, 2015, 2016, en comparaison avec la moyenne au cours de la période 1981-20107http://nsidc.org/arcticseaicenews/charctic-interactive-sea-ice-graph/)

3

L’année 2012 a marqué le record de retrait de la banquise arctique, le précédent (2007) était déjà égalé en août, alors même que la fonte continue généralement jusqu’à la fin de l’été. La superficie de la banquise à la mi-septembre 2012 était moitié moindre que la superficie moyenne à cette période entre 1979 et 2000. La disparition totale de la glace de mer est-elle envisageable et à quel horizon ?

L’océan Arctique a déjà été libre de glace dans un passé récent à l’échelle climatique, il y a 8 000 ans ou encore il y a 125 000 ans. A cette dernière période, le niveau des mers était 4 à 6 mètres plus haut qu’aujourd’hui, à cause de la fonte partielle des glaces et des neiges continentales en Antarctique et au Groenland.

Le 5ème rapport d’évaluation du GIEC, dont les différents volumes ont été publiés en 2013 et 2014, rapporte avec prudence une disparition possible des glaces arctiques au cours de ce siècle, tout en constatant que les modèles climatiques ne rendent pas compte de la rapidité du phénomène.

Figure n°4 : 2012, année record du retrait de la banquise arctique8Source : les différentes éditions annuelles de http://nsidc.org/arcticseaicenews/

4

Mais l’accélération rapide du retrait de la banquise estivale ces quinze dernières années pourrait rapprocher l’horizon de la disparition totale de la couverture glaciaire au Nord. D’autant que plusieurs constations laissent envisager la possibilité d’effets de seuil, qui conduiraient à des changements brutaux de l’envi­ronnement naturel arctique.

Tout d’abord, la perte de surface de glace de mer crée un cycle qui accélère lui-même le processus de fonte. La banquise réfléchissant plus de lumière (et donc d’énergie) que la mer, l’océan Arctique reçoit plus d’énergie et se réchauffe davantage. L’albédo, ou rapport entre l’énergie solaire réfléchie et incidente, de la glace est ainsi 4 à 12 fois supérieur à celui de la mer.

Ensuite, la diminution de l’épaisseur moyenne de la glace9Assessment of Possibility and Impact of Rapid Climate Change in the Arctic, Hadley Centre Technical Note, n° 91, août 2012, http://www.metoffice.gov.uk/media/pdf/p/i/HCTN_91.pdf est un autre argument confortant une disparition possible à moyen terme de la couverture de banquise en Arctique l’été. Les premières données du satellite CryoSat-2, lancé en 2010 par l’Agence spatiale européenne, combinées à celles d’IceSat (Nasa), montrent que le volume des glaces arctiques (en octobre et novembre) a diminué de moitié10House of Commons, Protecting the Arctic. Second Report of Session 2012-2013, Environmental Audit Committee, 12 septembre 2012, volume 1, p. 16 – http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201213/cmselect/cmenvaud/171/171.pdf entre 2003 et 2011, passant de 14 000 km3 à 7 000 km3.

Enfin, ces analyses sur le volume de la glace sont confortées par de nombreux travaux sur le rajeunissement moyen des glaces arctiques, les plus récentes (moins de quatre ans) étant généralement moins épaisses et denses, et moins résilientes face au réchauffement.

Figure n°5 : Surface des glaces arctiques en septembre 2015, et moyenne de l’extension de la banquise entre 1981 et 2010

5

  • (ligne violette)11Source : http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/sea_ice.html

Ainsi, la littérature postérieure12Une large série de travaux prévoient la disparition totale de la banquise arctique en saison estivale à un horizon de 15 à 60 ans. Voir, par exemple, citées par Frédéric Lasserre, les publications suivantes : Marika Holland, Cecilia M. Bitz, Bruno Tremblay, « Future Abrupt Reductions in the Summer Arctic Sea Ice », Geophysical Research Letters, 33, L23503, 2006, p. 2 ; Michael Winton, « Does the Arctic Sea Ice Have a Tipping Point? », Geophysical Research Letters, 33, L23504, 2006, p. 3 ; Muyin Wang, James Overland, « A Sea Ice Free Summer Arctic Within 30 Years? », Geophysical Research Letters, 36, L07502, 2009 ; Wieslaw Maslowski, « Causes of Changes in Arctic Sea Ice », AMS ESSS Seminar, Washington DC, 3 mai 2006 ; Julienne Stroeve, Wieslaw Maslowski, « Arctic Sea Ice Variability during the Last Half Century », in Stefan Bronniman et al (ed.), Climate Variability and Extremes during the Past 100 Years, New York, Springer, 2007, p. 152. au rapport de 2007 du GIEC envisage la possibilité de la disparition des glaces arctiques en été entre 2025 et 2040, possibilité qui n’est pas retenue dans le 5ème rapport d’évalua­tion du Giec.

Au cours de la période 1980-1999, les durées d’ouverture des routes maritimes du nord-est et du nord-ouest ont été respectivement de 45 jours et de 35 jours. Ces périodes pourraient être allongées13IPCC/GIEC, 5ème rapport d’évaluation, rapport du Groupe de travail II, chapitre 28 « Polar Regions », 2014,
http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg2/WGIIAR5-Chap28_FINAL.pdf
 de 10 jours d’ici 2020, et de 20 à 30 jours d’ici 2080. Au cours de l’été 2015, le passage du Nord-Ouest n’a été ouvert sur toute sa longueur qu’une journée en septembre.

Les conséquences de la fonte de la calotte arctique pour l’Europe seraient de deux ordres((La fonte de la calotte arctique contribuera également à la montée du niveau des océans (par dilatation thermique), voir § 3.2.3.. Tout d’abord, le réchauf­fement de l’océan Arctique va modifier la circulation atmosphérique et des cou­rants océaniques dans l’hémisphère nord, favorisant les vents du nord au détriment des vents d’ouest, plus tempérés. Des épisodes de froid intense aux latitudes européennes peuvent donc être attendus. Ensuite, la fonte des neiges et des glaces arctiques libérera massivement des polluants multiples dans l’océan. Ces polluants (métaux lourds, pesticides et même radioactivité), provenant essentiellement d’Europe et charriés par les vents, se déposaient et s’accumulaient jusqu’alors. Le réchauffement de cette aire conduira à la libération sur deux ou trois décennies de ces polluants accumulés au 20ème siècle.

   [ + ]

1. Center for Climate and Energy Solutions, Climate Change and International Security: The Arctic as a Bellwether, may 2012.
2. Source : https://www.climate.gov/news-features/featured-images/arctic-continues-be-significantly-warmer-average
3. Source : Arctic Report Card 2015.
4. http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/
5. http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/sea_ice.html
6. Ce maximum de surface de banquise en 2015 a été atteint avec 15 jours d’avance en comparaison de la date moyenne d’extension de la glace de mer entre 1981 et 2010.
7. http://nsidc.org/arcticseaicenews/charctic-interactive-sea-ice-graph/)

3

L’année 2012 a marqué le record de retrait de la banquise arctique, le précédent (2007) était déjà égalé en août, alors même que la fonte continue généralement jusqu’à la fin de l’été. La superficie de la banquise à la mi-septembre 2012 était moitié moindre que la superficie moyenne à cette période entre 1979 et 2000. La disparition totale de la glace de mer est-elle envisageable et à quel horizon ?

L’océan Arctique a déjà été libre de glace dans un passé récent à l’échelle climatique, il y a 8 000 ans ou encore il y a 125 000 ans. A cette dernière période, le niveau des mers était 4 à 6 mètres plus haut qu’aujourd’hui, à cause de la fonte partielle des glaces et des neiges continentales en Antarctique et au Groenland.

Le 5ème rapport d’évaluation du GIEC, dont les différents volumes ont été publiés en 2013 et 2014, rapporte avec prudence une disparition possible des glaces arctiques au cours de ce siècle, tout en constatant que les modèles climatiques ne rendent pas compte de la rapidité du phénomène.

Figure n°4 : 2012, année record du retrait de la banquise arctique((Source : les différentes éditions annuelles de http://nsidc.org/arcticseaicenews/

8. Source : les différentes éditions annuelles de http://nsidc.org/arcticseaicenews/

4

Mais l’accélération rapide du retrait de la banquise estivale ces quinze dernières années pourrait rapprocher l’horizon de la disparition totale de la couverture glaciaire au Nord. D’autant que plusieurs constations laissent envisager la possibilité d’effets de seuil, qui conduiraient à des changements brutaux de l’envi­ronnement naturel arctique.

Tout d’abord, la perte de surface de glace de mer crée un cycle qui accélère lui-même le processus de fonte. La banquise réfléchissant plus de lumière (et donc d’énergie) que la mer, l’océan Arctique reçoit plus d’énergie et se réchauffe davantage. L’albédo, ou rapport entre l’énergie solaire réfléchie et incidente, de la glace est ainsi 4 à 12 fois supérieur à celui de la mer.

Ensuite, la diminution de l’épaisseur moyenne de la glace((Assessment of Possibility and Impact of Rapid Climate Change in the Arctic, Hadley Centre Technical Note, n° 91, août 2012, http://www.metoffice.gov.uk/media/pdf/p/i/HCTN_91.pdf

9. Assessment of Possibility and Impact of Rapid Climate Change in the Arctic, Hadley Centre Technical Note, n° 91, août 2012, http://www.metoffice.gov.uk/media/pdf/p/i/HCTN_91.pdf est un autre argument confortant une disparition possible à moyen terme de la couverture de banquise en Arctique l’été. Les premières données du satellite CryoSat-2, lancé en 2010 par l’Agence spatiale européenne, combinées à celles d’IceSat (Nasa), montrent que le volume des glaces arctiques (en octobre et novembre) a diminué de moitié((House of Commons, Protecting the Arctic. Second Report of Session 2012-2013, Environmental Audit Committee, 12 septembre 2012, volume 1, p. 16 – http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201213/cmselect/cmenvaud/171/171.pdf
10. House of Commons, Protecting the Arctic. Second Report of Session 2012-2013, Environmental Audit Committee, 12 septembre 2012, volume 1, p. 16 – http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201213/cmselect/cmenvaud/171/171.pdf entre 2003 et 2011, passant de 14 000 km3 à 7 000 km3.

Enfin, ces analyses sur le volume de la glace sont confortées par de nombreux travaux sur le rajeunissement moyen des glaces arctiques, les plus récentes (moins de quatre ans) étant généralement moins épaisses et denses, et moins résilientes face au réchauffement.

Figure n°5 : Surface des glaces arctiques en septembre 2015, et moyenne de l’extension de la banquise entre 1981 et 2010

5

11. Source : http://www.arctic.noaa.gov/reportcard/sea_ice.html

Ainsi, la littérature postérieure((Une large série de travaux prévoient la disparition totale de la banquise arctique en saison estivale à un horizon de 15 à 60 ans. Voir, par exemple, citées par Frédéric Lasserre, les publications suivantes : Marika Holland, Cecilia M. Bitz, Bruno Tremblay, « Future Abrupt Reductions in the Summer Arctic Sea Ice », Geophysical Research Letters, 33, L23503, 2006, p. 2 ; Michael Winton, « Does the Arctic Sea Ice Have a Tipping Point? », Geophysical Research Letters, 33, L23504, 2006, p. 3 ; Muyin Wang, James Overland, « A Sea Ice Free Summer Arctic Within 30 Years? », Geophysical Research Letters, 36, L07502, 2009 ; Wieslaw Maslowski, « Causes of Changes in Arctic Sea Ice », AMS ESSS Seminar, Washington DC, 3 mai 2006 ; Julienne Stroeve, Wieslaw Maslowski, « Arctic Sea Ice Variability during the Last Half Century », in Stefan Bronniman et al (ed.), Climate Variability and Extremes during the Past 100 Years, New York, Springer, 2007, p. 152.

12. Une large série de travaux prévoient la disparition totale de la banquise arctique en saison estivale à un horizon de 15 à 60 ans. Voir, par exemple, citées par Frédéric Lasserre, les publications suivantes : Marika Holland, Cecilia M. Bitz, Bruno Tremblay, « Future Abrupt Reductions in the Summer Arctic Sea Ice », Geophysical Research Letters, 33, L23503, 2006, p. 2 ; Michael Winton, « Does the Arctic Sea Ice Have a Tipping Point? », Geophysical Research Letters, 33, L23504, 2006, p. 3 ; Muyin Wang, James Overland, « A Sea Ice Free Summer Arctic Within 30 Years? », Geophysical Research Letters, 36, L07502, 2009 ; Wieslaw Maslowski, « Causes of Changes in Arctic Sea Ice », AMS ESSS Seminar, Washington DC, 3 mai 2006 ; Julienne Stroeve, Wieslaw Maslowski, « Arctic Sea Ice Variability during the Last Half Century », in Stefan Bronniman et al (ed.), Climate Variability and Extremes during the Past 100 Years, New York, Springer, 2007, p. 152. au rapport de 2007 du GIEC envisage la possibilité de la disparition des glaces arctiques en été entre 2025 et 2040, possibilité qui n’est pas retenue dans le 5ème rapport d’évalua­tion du Giec.

Au cours de la période 1980-1999, les durées d’ouverture des routes maritimes du nord-est et du nord-ouest ont été respectivement de 45 jours et de 35 jours. Ces périodes pourraient être allongées((IPCC/GIEC, 5ème rapport d’évaluation, rapport du Groupe de travail II, chapitre 28 « Polar Regions », 2014,
http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg2/WGIIAR5-Chap28_FINAL.pdf

13. IPCC/GIEC, 5ème rapport d’évaluation, rapport du Groupe de travail II, chapitre 28 « Polar Regions », 2014,
http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg2/WGIIAR5-Chap28_FINAL.pdf de 10 jours d’ici 2020, et de 20 à 30 jours d’ici 2080. Au cours de l’été 2015, le passage du Nord-Ouest n’a été ouvert sur toute sa longueur qu’une journée en septembre.

Les conséquences de la fonte de la calotte arctique pour l’Europe seraient de deux ordres((La fonte de la calotte arctique contribuera également à la montée du niveau des océans (par dilatation thermique), voir § 3.2.3.