Etats-Unis

Place et capacités des forces armées dans la vision nationale de l’Arctique

La directive présidentielle de 2009 fixe les intérêts de sécurité des États-Unis dans le Grand Nord qui comprennent la défense antimissile et les systèmes d’alerte avancée, le déploiement de moyens maritimes et aériens pour la projection stratégique, la dissuasion, les missions de présence et de sûreté maritimes, assurer la liberté de navigation et de survol et prévenir les attaques terroristes.

Mais les États-Unis ne disposent pas des capacités nécessaires. L’US Navy a fait part de ses besoins, mais l’USCG, dans son rapport datant de 2008, demandait déjà davantage de brise-glaces, de navires, d’aéronefs et de moyens à terre capables d’agir en zone polaire pour des missions de souveraineté, de sauvegarde des intérêts et d’intervention en cas de catastrophe.

ARMY (8 897 personnels)

Les moyens de l’US Army en Alaska (USARAK) se composent d’infanterie mécanisée et de troupes aéroportées qui ne sont pas particulièrement dévolues aux opérations en zone polaire. Les unités sont réparties entre trois bases principales Richardson, Fort Greely et Fort Wainwright. Le Northern Warfare Training Centre de Black Rapids est le centre d’entraînement de toutes les unités de l’Army et du Marine Corps. L’Army gère également le Laboratoire de recherche et d’ingénierie sur les régions froides et son Centre de Tests dans l’Alaska. Mais c’est certainement la Garde Nationale d’Alaska (5 566 personnels) qui est la mieux préparée aux missions dans l’Arctique.

US NAVY (569 personnels)

Bien qu’ils ne soient pas spécialement conçus pour les régions polaires, les porte-avions américains et les navires amphibies sont capables d’opérer dans ces régions à l’exception des périodes hivernales. Les sous-marins nucléaires américains ont une longue expérience de la navigation dans l’Arctique, depuis le Nautilus. Le seul navire de surface qui ait été spécifiquement conçu pour les conditions arctiques, le MV Sustina, un ferry/bâtiment de débarquement expérimental, a été donné aux autorités civiles. La feuille de route de 2009 fixait un certain nombre d’objectifs dont la réalisation d’exercices dans la zone. Force est de constater que cette présence est restée modeste : le porte-avions Stennis en 2009, un destroyer en 2010 en soutien de l’exercice NANOOK, deux SNA en 2012 pour un exercice scientifique (SCICEX), trois bâtiments en 2012, dont un participait à un exercice tripartite avec la Russie et la Norvège, et des essais d’UUV le long des côtes du Groenland.

US AIR FORCE et MISSILE DEFENCE (13 406 personnels)

La région Arctique est le siège de la défense antimis­sile des États-Unis et du Canada. Les États-Unis disposent de deux grandes bases aériennes en Alaska, proches de l’Arctique : Eielson près de Fairbanks et Elmendorf près d’Anchorage. Les deux bases hébergent des avions de combat et de soutien (F16, F22, AEW, Patmar).

Trois autres bases – Fort Greely et Fort Clear en Alaska et Thulé au Groenland – font partie du dispositif antimissile américain. Fort Greely, réactivée en 2009, abrite le 49th Missile Defense Battalion, le 59th Signal NEC et le 12th Space Warning Squadron de l’USAF. Thulé et Fort Clear font partie du Ballistic Missile Early Warning System (BMEWS).

L’USCG dispose également de moyens aériens : des HC‑130H Hercules (Kodiak) et des hélicoptères MH‑60T Jayhawk (Sitka) et MH‑65D Dolphin qui peuvent se déployer plus au nord pour de courtes périodes.

Commandement

En avril 2011, le Président Obama a approuvé une modification du plan des Commandements unifiés et confié la responsabilité de la région Arctique à NORTHCOM et EUCOM (au lieu de PACOM). A la suite de cette décision, NORTHCOM a renforcé ses capacités dans l’Arctique en matière de communications, d’appréciation de situation, d’infrastructures et de présence. Si les États-Unis disposent d’une capacité sous-marine sans équivalent dans la région Arctique qu’ils déploient depuis longtemps dans le passage du Nord-Ouest, ils n’ont que peu de brise-glaces (deux opérationnels et anciens) et n’ont qu’une capacité de projection de forces limitée. En temps de paix, cette mission de présence a donc été confiée aux Coast Guard qui dépendent du ministère des Transports en temps de paix, mais sont transférés au Ministère de la Défense en temps de guerre.

Figure n°1 : Bases américaines de l’armée (DOD, étoiles) et des garde-côtes (USCG, cercles)1https://laststandonzombieisland.files.wordpress.com/2012/01/us-current-polar-bases.jpg

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USCG

Une stratégie Arctique des Coast Guard2USCG Arctic Strategy May 2013. a été publiée peu de temps après la stratégie nationale de Mai 2013. Elle se fixe trois objectifs :

  • Améliorer l’appréciation de la situation dans l’Arctique ;
  • Moderniser son organisation et sa gouvernance;
  • Élargir les partenariats avec les autres départements d’État.

Améliorer la connaissance de la situation et être en mesure d’intervenir en cas d’urgence demandent une présence permanente dans la zone qui ne peut être assurée que par des moyens accrus : brise-glaces, bateaux, aéronefs et drones, qui peuvent être complétés par des moyens appartenant à des compagnies civiles. La première priorité consiste à construire un brise-glaces doté d’une plate-forme hélicoptère. L’USCG ne dispose que d’un brise-glaces léger, capable de briser une glace de 8 pieds d’épaisseur, le Healy, et du Polar Star3Son sister ship, le Polar Sea, victime d’une panne de pro­pulseur a été mis sous cocon et sert de pièces détachées., un brise-glaces puissant capable de briser des épaisseurs de 21 pieds, construit dans les années 1970 et remis en service en 2013. À cela s’ajoute la nécessité de créer un « Arctic Fusion Centre » chargé de la gouvernance et de la coordination entre les départements et les agences.

L’absence d’infrastructures au nord de l’Alaska nécessite la création d’une base marine pour permettre d’assurer une réelle présence en mer dans la région. Les Coast Guard ne disposent pas d’une base aérienne permanente dans la région. La plus proche se trouve à Kodiak à 1 500 km de la ville de Barrow, la plus septentrionale dotée d’un aéroport. A l’été 2012, lors de l’exercice « Arctic Shield », l’USCG avait déployé des navires et deux hélicoptères pour patrouiller en mer de Beaufort et avaient loué un hangar sur l’aéroport de Barrow pour y faire une base temporaire (Forward Operating Location). Les hélicoptères ont effectué 289 heures de vol en soutien SAR, en reconnaissance d’icebergs et en surveillance de zone.

Les défis capacitaires

Les conditions climatiques extrêmes, la rareté des infrastructures et l’immensité des territoires sont les principales difficultés à surmonter, en particulier sur le plan logistique, pour opérer dans cette région. Pour les Coast Guard, la contrainte opérationnelle majeure est le ravitaillement en carburant que vient compliquer le manque de ports en eau profonde au nord de l’Alaska. Pour tenir plusieurs semaines, ils doivent coopérer avec leurs homologues canadiens ou avec des entreprises privées telles que Shell.

Actuellement les Coast Guard ne disposent que d’un brise-glaces léger, l’USCG Cutter Healy, et d’un ancien brise-glaces, l’USCG Polar Star, réactivé à l’été 2013. Les autres navires n’ont que de faibles capacités pour naviguer dans une mer gelée. En 1992, la National Research Foundation a fait l’acquisition d’un brise-glaces léger (glace de 3 pieds d’épaisseur), le N.B.Palmer. La construction d’un nouveau brise-glaces est planifiée, mais le budget de 900 millions de dollars pour sa construction est reporté chaque année depuis 2013. Lors d’une visite en Alaska, en septembre 2015, le Président Obama s’est engagé à ce que cette construction démarre en 2020 pour une admission au service actif en 2025…

En 2011, audité devant une Commission du Sénat4O’ROURKE Ronald, Coast Guard Polar Icebreaker Modernization: Background and Issues, US, January 15, 2016 (appendix)., l’Amiral Robert APP, Commandant les CG, faisait état d’un besoin de 3 grands brise-glaces et de 3 moyens pour pouvoir assurer ses missions régaliennes. Pour maintenir une permanence sur zone, le besoin augmentait à 6 grands brise-glaces et 4 moyens.

En 2014, l’US Navy a publié une feuille de route5The United States Navy Arctic Roadmap for 2014 to 2030 – February 2014. pour l’Arctique couvrant la période 2014-2030. La Marine décline la National Strategy for the Arctic Region en se fixant quatre objectifs :

  • Assurer la souveraineté des États Unis dans l’Arctique et la défense du territoire ;
  • Assurer la disponibilité des forces navales pour faire face aux crises ;
  • Préserver la liberté des mers ;
  • Promouvoir des partenariats au sein du Gouvernement et avec les alliés.

La feuille de route prévoit trois étapes à court terme jusqu’à 2020, moyen terme de 2020 à 2030 et long terme au-delà.

À court terme, l’US Navy cherchera à identifier les améliorations à apporter aux bâtiments : la plateforme, les senseurs et les systèmes d’armes. L’entraî­nement en conditions hivernales sera renforcé ainsi que les communications et la logistique, avec en particulier, le problème du ravitaillement en carburant. Le partenariat consistera à développer une image commune et partagée de la situation maritime avec les autres agences américaines ainsi que des exercices tels que NORTHERN EAGLE et NANOOK. L’objectif est de disposer en 2020 de personnels entraînés aux opérations dans l’Arctique et d’avoir accumulé de l’expertise pour pouvoir affiner la stratégie et la planification des besoins. Navires, sous-marins et aéronefs continueront à transiter dans l’Arctique.

En 2030, l’US Navy devra disposer de l’entraînement nécessaire et du personnel qualifié pour répondre à des contingences et des urgences affectant la sécurité nationale. Une quinzaine d’exercices6Arctic Edge (2), Arctic Shield, BALTOPS, Cold Response, ICEX, Northern Challenge, Northern Eagle (2), Northern Edge (2), NANOOK, Arctic Zephyr, FRUKUS, SAREX. sont programmés chaque année dont un exercice tripartite FR, UK, US et un SAREX. Les exercices SCICEX, en soutien de la science, sont prioritaires. Ils concernent, entre autres, les UUV/UAV, l’étude des vagues et de la houle en Arctique, la propagation acoustique (ASW), l’amélioration des prévisions météorologi­ques et l’impact de l’environnement arctique sur les systèmes navals. La Navy fixera ses priorités en matière d’hydrographie et de bathymétrie et apportera son concours à l’USCG pour la définition du futur brise-glaces. Les besoins en satellites de communication, météorologiques et ISR seront définis, certains en partenariat avec le Canada. La faisabilité de la construction d’un port en eau profonde dans le nord de l’Alaska sera étudiée avec l’USCG.

L’étude de nouvelles plates-formes capables d’opérer dans une mer avec une glace <10% et jusqu’à <40% au printemps et en automne sera lancée ; elles sont prévues pour être opérationnelles vers 2025. Les besoins des unités projetées en opération dans l’Arctique seront évalués sur et sous la glace, à terre, sur le permafrost, en conditions givrantes. Cela concerne les équipes de construction sous-marines, les démineurs, les équipes de prise d’un cargo…

Les futures infrastructures et la stratégie maritime américaine dans l’Arctique seront vraisemblablement basées sur un partenariat public-privé. À titre d’exemple, à l’été 2012, la compagnie Shell qui effectuait de la prospection pétrolière offshore au nord de l’Alaska, avait déployée 22 navires sur zone, pendant que l’USCG surveillait les opérations avec le seul Healy ! Shell assurait elle-même le SAR, la lutte contre la pollution et l’incendie et la prévention contre les autres risques.

En conclusion, comme le décrit Ronald O’Rourke dans son rapport7O’ROURKE Ronald, (2016)., il y a beaucoup de déclarations mais encore bien peu d’investissements pour les mettre en œuvre. Le gouvernement se donne le temps d’une meilleure appréciation des évolutions dans l’Arctique avant de s’engager résolument si nécessaire.

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1. https://laststandonzombieisland.files.wordpress.com/2012/01/us-current-polar-bases.jpg
2. USCG Arctic Strategy May 2013.
3. Son sister ship, le Polar Sea, victime d’une panne de pro­pulseur a été mis sous cocon et sert de pièces détachées.
4. O’ROURKE Ronald, Coast Guard Polar Icebreaker Modernization: Background and Issues, US, January 15, 2016 (appendix).
5. The United States Navy Arctic Roadmap for 2014 to 2030 – February 2014.
6. Arctic Edge (2), Arctic Shield, BALTOPS, Cold Response, ICEX, Northern Challenge, Northern Eagle (2), Northern Edge (2), NANOOK, Arctic Zephyr, FRUKUS, SAREX.
7. O’ROURKE Ronald, (2016).