Bulletin Septembre 2019 – Technologie – Industrie

Actualités militaires et capacitaires

Entrée en capacité opérationnelle complète du premier bataillon de systèmes de missiles Pantsir-S en péninsule de Kola

À la suite de la décision de déploiement de ce bataillon de Pantsir‑S (SA-22 Greyhound) en Arctique à la fin de l’année 2018 (entrée en capacité opérationnelle dans les forces armées russes en 2012), les opérateurs auraient réalisé plusieurs formations sur le terrain d’entraînement d’Ashuluk (Astrakhan) et en Syrie (Source EN et Source RU). Il s’agit du quatrième système d’armes déployé en Arctique à la suite d’une épreuve au feu sur le théâtre syrien, après les drones tactiques, les capacités de guerre électronique et les bâtiments navals (cf. Bulletin n°2 juillet 2019).

Forte activité militaire russe dans les eaux arctiques

La Flotte du Nord a tiré profit de la période estivale pour mener plusieurs exercices militaires en parallèle de ceux réalisés en mer Baltique et à la suite des exercices des mois précédents (Bulletin n°3 août 2019)

Un exercice naval russe s’est déroulé du 14 au 17 août 2019 au large des côtes norvégiennes en mer de Norvège. Il a impliqué deux groupes tactiques avec notamment le sous-marin nucléaire de classe Oscar-II Smolensk, le croiseur lance-missiles Marshal Ustinov, le destroyer de lutte anti-sous-marine Severomosk, la frégate Admiral Gorskhov, les remorqueurs SB‑406 Nikolay Chijker, et le navire de logistique Elbrus (Source EN).

À la suite des tests des missiles et plates-formes du système antiaérien de courte portée Tor-M2DT en Nouvelle-Zemble (cf. Bulletin n°3 août 2019), un bataillon a été déployé dans la péninsule de Kola au sein de la 200ème brigade motorisée basée à Pechenga (Source EN).

Les troupes des districts militaires Nord et Centre ont mené un exercice civilo-militaire de grande ampleur à proximité de Taimyr (Source RU). En sus des unités de la Flotte du Nord et des forces aéroportées, des unités du ministère de l’Intérieur, du ministère des Situations d’urgence et du service fédéral pénitentiaire y ont participé. L’objectif était de travailler à la coordination avec l’ensemble des acteurs compétents en cas de crise dans la région arctique, notamment à la suite de l’autonomisation du district Nord (cf. Bulletin n°1 juin 2019).

Deux sous-marins lanceurs d’engins, le Tula (Delta-IV) et le Yury Dolgoruky (classe Borey), ont réalisé des exercices de lancement de missiles Sineva et Bulava en mer de Barents et dans l’océan Arctique (Source EN).

Explosion accidentelle du moteur d’un missile à propulsion nucléaire à Nyonoksa au bord de la mer Blanche

Selon le ministère de la Défense russe, un moteur nucléaire d’un missile de croisière Burevestnik 9M730 (code OTAN SSC-X-9 Skyfall) a explosé dans une installation de l’entreprise d’État Rosatom conduisant à une augmentation sensible de la radioactivité autour de Nyonoksa et de Severodvinsk (Source EN)[1].

Actualités industrielles et technologiques

Débat au sein du gouvernement russe sur le développement économique de l’Arctique

À la suite de l’annonce de l’ambition d’un trafic de 80 millions tonnes à travers la Route Maritime du Nord (RMN) pour 2024 par Vladimir Poutine (cf. Bulletin n°1), le ministère russe des Transports, le ministère de l’Extrême-Orient et de l’Arctique, le ministère des Ressources naturelles et les acteurs économiques (Rosatom, Novatek, Vostok Coal) s’attachent à estimer les augmentations de leurs productions respectives (activités de transport maritime, GNL, charbon) à atteindre selon les différentes planifications commerciales (Source EN).

Le trafic maritime intercontinental ne représenterait cependant qu’une partie très réduite à horizon 2024 dans ces estimations. Ainsi, le Premier ministre adjoint en charge du développement de l’Arctique et de l’Orient, Yuri Trutnev, soutient l’ouverture de l’exploitation des hydrocarbures aux entreprises étrangères dans une lettre adressée au Président Vladimir Poutine (Source EN et source RU). Il fonde cette position sur le retard constaté par les opérateurs russes en matière de forage et d’exploration. L’exemple de l’exploitation du charbon pourrait être pris avec l’intérêt croissant des oligarques russes sur les réserves importantes de la péninsule de Taymyr (Source EN), qui s’affirme comme un hub économique dans l’Arctique russe.

S’agissant de la proposition d’ouverture de l’exploitation des ressources hydrocarbures offshore à des entreprises étrangères, on peut relever plusieurs éléments. Cette idée avait déjà été soulevée en 2015 au sein du gouvernement russe après l’instauration du monopole des sociétés d’État en 2008 (Source RU). La législation russe ne permet actuellement aux agents économiques étrangers que d’être minoritaires. Les sanctions internationales touchant en particulier les technologies et les prix bas du pétrole ne favoriseraient pas l’intérêt d’entreprises étrangères, d’autant plus que les licences les plus attractives ont déjà été accordées aux deux opérateurs russes Rosneft et Gazprom. Selon les estimations fournies par Kommersant, seulement 10% des licences offshore resteraient à délivrer (Source RU). De manière générale, ce débat démontre les limites du modèle mercantiliste fermé créé par le gouvernement russe en Arctique (Bulletin n°1 juin 2019).

Le développement de la Route Maritime du Nord au service
du désenclavement du centre et de l’Orient russe

Le Gouverneur de l’oblast d’Omsk a exprimé son intérêt vis-à-vis des perspectives de développement commercial que pourrait représenter la RMN pour les exportations agricoles estimées à 49 millions de dollars et qui représentent 30% des exportations totales de sa région (Source EN et source RU). Dépendantes du réseau ferré, la RMN pourrait permettre aux exportations d’Asie centrale de trouver plus facilement des débouchés en Asie de l’Est, notamment au Japon, via les fleuves sibériens Irtych et Ob et la RMN. Cette initiative s’insère dans la valorisation des transports russes promus en priorité politique par la stratégie de développement du système de transport de la Fédération pour 2020 (Source EN) et la stratégie de développement du transport des eaux intérieures pour 2030 (Source EN).

Cette déclaration doit cependant être nuancée dans la mesure où cette ambition pourrait être concurrencée par les ambitions infrastructurelles du Kazakhstan et de la Chine. La ville d’Omsk se situe à moins de 150 km du Kazakhstan (600 km d’Astana), qui est intégré dans les projets infrastructurels chinois (Initiative BRI). De plus, le Kazakhstan a annoncé le développement d’une stratégie arctique afin de connecter le pays, par les fleuves sibériens à la RMN. Or, cette interconnexion pourrait également se faire au détriment du trafic international dans l’Arctique russe. Enfin, de nombreux projets ferroviaires entrent en concurrence entre eux et avec ce projet, notamment le projet Belkomur (Arkhangelsk, Syktyvkar, Kudymakar, Perm)(Source EN). Dans l’ensemble des cas, le facteur déterminant demeure le financement pour lequel la Chine pourrait jouer un rôle central.

Construction prévue d’un dock de maintenance pour les futurs brise-glaces nucléaires en Crimée

Une nouvelle cale sèche est nécessaire pour les chantiers navals nucléaires russes d’Atomflot, en charge de la maintenance des brise-glaces nucléaires, à la suite du naufrage du dock PD-50 en péninsule de Kola en octobre 2018 (Source RU). Il s’agissait du dock flottant le plus grand et large de Russie (longueur de 330 mètres, largeur de 88 mètres, hauteur de 6,6 mètres, charge maximale 80 000 tonnes), suivi par celui de Kertch à la suite de l’annexion illégale de la Crimée. Le chantier naval Zaliv pourrait donc apporter une solution relativement rapide à cette carence infrastructurelle (Source EN et source RU).

Cette question a émergé dès la modernisation du porte-avions (PA) russe Amiral Kouznetsov. Si cette solution paraît être une option intéressante d’un point de vue financier à court-terme, elle pourrait compliquer la maintenance de la flotte de brise-glaces nucléaires russes et pourrait relancer les capacités de maintenance des bâtiments navals nucléaires en mer Noire malgré les dispositions de la Convention de Montreux (1936) s’agissant de l’interdiction de la traversée des détroits turcs par des PA déjà contournées par l’URSS.

Lancement de la centrale nucléaire flottante Akademik Lomonosov
en direction de l’Extrême-Orient russe

En construction depuis 2007, la centrale nucléaire flottante sera installée pendant 12 ans à Pevek au bord de la mer de Tchouktches (Source EN). Ses deux réacteurs pourront produire de l’électricité pour 100 000 personnes (70 mégawatts). Un récent rapport de l’organe de presse The Barents Observer affirme que l’Arctique russe regrouperait près de 62 réacteurs nucléaires (31 sous-marins, un navire de combat, 5 brise-glaces et 3 centrales électriques) et connaîtrait ainsi une « nucléarisation » importante du fait de la politique de développement économique russe (Source EN, voir également le Bulletin n°3 de l’Observatoire, août 2019).

 

[1] Voir l’analyse de cet accident par la FRS : MAITRE Emmanuelle, Que s’est-il passé à Nyonoksa ?, Observatoire de la Dissuasion, Bulletin n°67, FRS, septembre 2019.

 

Fabien Carlet (IRIS)