Des coopérations transfrontalières qui dynamisent les relations de l’Union européenne avec le Nord

Développement rédigé par Marie Ventura-Tavares. (Septembre 2018)

Le Traité de Corfou, de 1995, finalise le processus d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Union européenne. Au fur et à mesure de l’adhésion de nouveaux États à son espace politique et économique, l’Union européenne doit ré-appréhender son voisinage. Ainsi, cet élargissement au Nord permet à la frontière européenne de s’allonger de 1 340 kilomètres et d’être désormais mitoyenne avec la République fédérale de Russie et la région Arctique.

Le Conseil européen est un sommet où les dirigeants des gouvernements européens prennent notamment position sur la politique extérieure[1] de l’Union européenne. C’est ainsi que Paavo Lipponen, Premier ministre finlandais, propose la création d’une politique septentrionale lors du Conseil européen de Luxembourg (décembre 1997). Elle est reconnue lors du Conseil européen de Vienne (décembre 1998), au cours duquel une première communication de la Commission européenne est adoptée. Il faut attendre le Conseil européen d’Helsinki (décembre 1999) pour qu’un premier Plan d’Action[2] soit proposé, et le Conseil européen de Feira (juin 2000) pour qu’il soit adopté. Le Conseil européen de Bruxelles (octobre 2003) adopte le deuxième Plan d’Action pour la période 2004-2006. En 2006, lors de la dernière présidence de la Finlande du Conseil de l’UE, un nouveau souffle est donné à la Dimension septentrionale : ainsi nait la Nouvelle Dimension septentrionale (NDS).

La Dimension septentrionale est rattachée tout d’abord à la DG RELEX[3], et plus particulièrement au Bureau Europe de l’Est qui s’occupe des aspects administratifs, laissant aux acteurs sur le terrain la mise en place des programmes. En 2010, elle est rattachée au Service européen aux Affaires extérieures[4]. C’est une politique intégrée : elle repose sur des « notions de subsidiarité et de synergie entre les différents acteurs »[5] à savoir les États partenaires, les organisations régionales, les centres de recherches, la société civile et l’Union européenne. Cette dernière peut fidéliser grâce à ce dispositif les États tiers et les inciter à adopter des mécanismes européens, normalement réservés aux accords d’association[6]. La Dimension septentrionale à travers une approche sectorielle[7] s’intéresse à l’économie, au développement des ressources humaines (éducation, culture, recherche, santé), à l’environnement et à la sûreté nucléaire, ainsi qu’à la justice et aux affaires intérieures. Elle a vocation à apaiser la région, notamment dans l’espace russo-balte, et elle permet à l’Union européenne de jouer un rôle au Nord grâce à sa volonté « d’enraciner la stabilité au niveau local en soutenant des initiatives venues « d’en bas », mais dont les effets positifs ont un fort potentiel de se faire ressentir « en haut » »[8].

La Finlande, État initiateur et moteur de cette dynamique, met en avant une coopération entre l’Union européenne, représentée par la Commission, et des États membres volontaires[9], avec des États tiers que sont l’Islande, la Norvège et la République Fédérale de Russie. L’intérêt mis en avant est de dynamiser un processus de décision et d’application des programmes, au niveau local, sans passer par la procédure législative ordinaire[10]. La proposition des programmes et leur mise en place doivent provenir « du terrain », du local, du régional et ne pas être l’objet de décisions aux plus hauts échelons administratifs européens. Les organisations ou institutions, régionales ou sectorielles, s’intéressent à la transcription d’objectifs en programmes. Enfin, les acteurs de la société civile (autorités régionales, instituts de recherches, associations etc.) concrétisent les programmes.

La Dimension septentrionale ne crée aucun nouveau dispositif et utilise des mécanismes de l’Union européenne déjà existants, notamment en matière de financement. Les différents programmes de la Dimension septentrionale sont financés par certains États membres de l’Union européenne ainsi que des États tiers, tout comme des institutions financières internationales (Banque Mondiale, Banque nordique d’investissement, etc.) et des acteurs privés comme des entreprises. Au sein de l’Union européenne, des outils financiers sont mobilisés. Ces derniers ne sont pas choisis par hasard, ils répondent à des thématiques bien précises liées à la Dimension septentrionale. Ils s’intéressent au développement régional et à la coopération entre les régions européennes (Interreg[11]), à l’aide communautaire aux pays d’Europe centrale et orientale (PHARE)[12] et à l’établissement de conditions favorables à l’économie pour renforcer la démocratie (TACIS[13])[14]. En 2007, la Commission européenne propose l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP)[15] comme outil financier de référence notamment en faveur de la Russie, concernant la Dimension septentrionale.

La Dimension septentrionale semble se rapprocher d’un système régional déjà en place, la Politique européenne de voisinage (PEV). Cette dernière a également pour ambition d’améliorer les relations de l’Union européenne avec les États tiers voisins. La PEV les soutient à travers des partenariats en matière de sécurité et d’économie notamment. Ces deux programmes se ressemblent, dans le sens où l’Union européenne tend à influencer les régions périphériques de ses frontières pour créer une zone de stabilité. À la seule différence de la PEV, la Dimension septentrionale réside dans la mise à exécution de programmes de low politics, alors que la PEV reste un programme politique d’influence à échelle diplomatique.

La Dimension septentrionale reste discrète, bien que son bilan soit positif par la réalisation des différents programmes. Elle a renforcé les liens du Conseil Euro-Arctique de Barents avec le Conseil des États de la Mer Baltique, et la Russie a pu s’inclure dans un contexte européen. Le site de la NDS est actualisé quotidiennement et le secteur « recherche » est très dynamique. Cependant, les médias ont tendance à s’intéresser aux limites de la PEV qui, étant de nature plus politique, ont plus d’impact sur le public.

La Dimension septentrionale fait cependant face à des obstacles. Premièrement c’est un projet qui a été lancé et porté à bout de bras par les pays scandinaves et notamment la Finlande, lorsque ceux-ci présidaient le Conseil de l’Union européenne. De plus, pour beaucoup d’États membres, la Finlande avait en effet tout intérêt à mettre en place pareille politique régionale. En effet, elle aurait agi ainsi pour protéger son pré-carré d’un point de vue économique et sécuritaire. Enfin, à partir du moment où d’autres pays, moins concernés par les problématiques de la Dimension septentrionale, prennent le relais à la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, cette dernière perd de sa dynamique.

La Dimension septentrionale permet à l’Union européenne d’influencer une région qu’elle tendait à délaisser, alors qu’elle se tournait davantage vers les rives de la Méditerranée. Elle a ainsi revitalisé le Nord et inséré la Russie dans un processus décisionnel, ce qui lui a permis de l’intégrer dans son voisinage. Le statut de low politics des domaines de compétences de la Dimension septentrionale a convaincu la Russie de participer à cette coopération, craignant moins une tentative d’influence de l’Union européenne. Elle permet à la Russie de s’intégrer et non de s’exclure de la zone, d’autant plus que la Dimension septentrionale reste, avec l’Accord de Partenariat et de Coopération (1994), la principale plate-forme d’échange avec la Russie[16].

C’est en 2002 que la présidence danoise au Conseil des ministres donne l’impulsion à une politique arctique pour la Dimension septentrionale. Ainsi une « fenêtre arctique » est insérée au sein du deuxième Plan d’Action en 2003. Les débuts sont timides et il faut attendre 2008 pour que certaines institutions européennes prennent le dossier au sérieux et décident de renforcer la dynamique.

La Nouvelle Dimension Septentrionale (NDS) lancée en 2006 modifie le mode opératoire. Alors que la Commission européenne était jusqu’à cette date lanceuse d’initiatives, les acteurs sont désormais partenaires égaux. Si l’Union européenne s’est progressivement désengagée de cette politique, pour se rapprocher de l’Arctique, la NDS continue de fonctionner de manière autonome. Le dernier programme date de juillet 2018 et est destiné à la jeunesse qui travaille dans la bio-économie[17] par exemple, de plus des newsletters sont publiées régulièrement et le calendrier thématisé (forums d’entreprises, congrès ou conférences) propose de multiples évènements quotidiennement.

Notes :

[1] Il est question de politique extérieure et non étrangère puisque la politique étrangère, juridiquement, est une prérogative régalienne. Les États sont les seuls acteurs habilités à cette mission, depuis le Traité de Westphalie (1648).

[2] Plan d’Action pour la Dimension septentrionale dans les politiques extérieure et transfrontalière de l’Union européenne (2000-2003).

[3] Direction générale aux Affaires extérieures de la Commission européenne.

[4] La DG RELEX devient avec le Traité de Lisbonne (2009), le Service européen aux Affaires extérieures. Seules la DG Coopération internationale et développement, la DG Commerce et la DG Politique européenne de voisinage et d’élargissement restent au sein de la Commission européenne.

[5] Louis Michel, commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire au nom de Benita Ferrero-Waldner, commissaire européen des relations extérieures et de la politique européenne de voisinage (2005).

[6] Accord entre l’Union européenne et un pays tiers (article 217 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne), créant un cadre de coopération entre eux. L’accord s’intéresse notamment au développement de liens politiques, commerciaux, sociaux, culturels et sécuritaires.

[7] À partir du deuxième Plan d’Action.

[8] Marin. A, « La Dimension septentrionale : une autre forme de la PESC en Europe », EU-ISS Occasional Paper, Vol. 46, 2003.

[9] Notamment les pays scandinaves.

[10] Adoption des directions et des règlements par le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen.

[11] Il est financé par le Fonds européen de développement régional (FEDER) à hauteur de 7,75 milliards d’euros. INTERREG V couvre la période 2014-2020 et est géré par la Commission européenne auprès de la politique régionale INFOREGIO. https://www.interregeurope.eu/

[12] Programme d’aides aux PECO – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:e50004

[13] Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-russie/programme-tacis.shtml

[14] Ce programme évolue selon une approche sectorielle et géographique et est surtout destiné à la Russie.

[15] Comprendre et identifier les fonds européens : https://fr.welcomeurope.com/comprendre-subventions-europeennes.html

[16] Néanmoins, depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, les relations entre l’Union européenne et la Russie se sont refroidies ce qui a largement impacté le dialogue et la coopération entre les deux puissances.

[17] Programme balte pour la jeunesse et la bio-économie : http://www.northerndimension.info/news/news/810-baltic-leadership-programme-on-youth-and-bioeconomy