Russie – Nouvelle étape pour le programme de dévelop-pement pour l’Arctique

Développement rédigé par Isabelle Facon. (Mars 2018)

Le 31 août 2017, le gouvernement russe a approuvé une version actualisée du programme de développement socio-économique de la zone Arctique de la Fédération de Russie (horizon 2025), dont une précédente édition (à échéance 2020) – avait été adoptée en avril 2014. Le Premier ministre Medvedev a expliqué en substance qu’il s’agissait de revenir sur une anomalie concernant ce programme d’importance centrale pour le pays – à savoir qu’il ne disposait pas de financements propres (les mesures prévues dans ce programme étant soutenues par des financements affectés à des programmes d’État sectoriels). Cela, a-t-il précisé, « ne correspond pas à l’envergure de nos plans de développement de cette région unique »[1]. La nouvelle mouture du programme offre une actualisation des objectifs principaux ; il introduit des indices de réalisation d’objectifs ; il désigne le ministère de l’Industrie et du Commerce comme co-exécutant du programme et élargit le nombre de participants à la réalisation du plan.

La première phase du programme (jusqu’à la fin 2017) constituait une étape analytique ne nécessitant pas de financement. Elle a donné lieu à la création, en février 2015, de la Commission d’État sur le développement de l’Arctique, qui doit assurer la coordination de l’activité des organes de l’exécutif en charge de la mise en œuvre du programme[2] ; à la désignation de la zone Arctique comme objet statistique spécifique ; à l’élaboration d’une base normative et législative ad hoc pour la formation des zones de développement spéciales, qui font l’objet des trois sous-programmes[3]. En effet, la seconde étape du programme, 2018-2020 (environ 12 milliards de roubles, soit 160 millions d’euros), prévoit la réalisation de projets pilotes dans le cadre de la formation de ces zones, dont la mise en exploitation de la station dérivante Severnyï Polious [Pôle Nord] pour l’observation et la surveillance de l’environnement dans l’océan Arctique ou encore la construction d’un chantier naval « high tech » en Iakoutie/république de Sakha (voir infra). La troisième étape (horizon 2025) est orientée, entre autres, sur la mise en service du système Sever d’information sur la fonte des glaces et l’organisation de la production de moyens de haute technologie pour les besoins de l’exploration géologique, de l’extraction et de la transformation des ressources naturelles en zone Arctique – ce qui intègre certainement le besoin de pallier les sanctions sectorielles occidentales. Autres priorités affichées, dans le désordre : le développement de la Route maritime du Nord comme voie de transport nationale, le nouveau brise-glace Lider, les moyens de récupération de déchets radioactifs, la surveillance de l’environnement, la politique de l’information, le soutien spatial aux activités en Arctique (satellites), le soutien aux populations autochtones et l’amélioration de la qualité de vie en zone Arctique – le tout devant également prendre en compte les enjeux de sauvegarde de la sécurité nationale (la commission étatique pour l’Arctique est présidée par le vice-Premier ministre Rogozine, également vice-président de la Commission militaro-industrielle).

La commission d’État pour le développement de l’Arctique

Vice-présidents

Ministres de l’Enseignement et de la Science ; des Ressources naturelles et de l’Écologie ; de l’Énergie ; des Transports ; premier vice-Ministre des Affaires étrangères.

Groupes de travail

–          Sauvegarde de la sécurité nationale

–          Développement socio-économique

–          Développement de l’enseignement et de la science

–          Développement de l’infrastructure de transport

–          Coopération internationale

–          Développement du secteur de l’énergie

–          Développement de l’industrie et des technologies

–          Sauvegarde de la sécurité écologique et utilisation rationnelle des ressources naturelles

–          Réalisation de la politique de l’État vis-à-vis des populations autochtones vivant dans l’Arctique

Auxquels s’ajoutent deux groupes intergouvernementaux temporaires : l’un sur la création d’une base intégrée de données sur la situation dans l’Arctique, l’autre sur l’examen de propositions sur l’amélioration de la base normative pour l’activité sur le plateau continental arctique. La création d’un groupe de travail sur les PME est à l’étude.

Cela étant, en termes de financements issus du budget fédéral (162 milliards de roubles, environ 2 milliards d’euros, incluant des moyens du ministère de la Défense[4]), le programme prend visiblement en compte la contrainte économique actuelle puisque ceux-ci seront versés en majorité écrasante sur les cinq dernières années (150 milliards sur 2021-2025). Tandis que des experts ont jugé insuffisant le niveau de financement du programme, le Premier ministre, qui a fait part de sa prudence quant à la faisabilité de la dépense prévue, a aussi insisté sur la nécessité, dans le cadre de ce programme, d’encourager les partenariats public-privé (le public étant incarné en l’espèce par le pouvoir fédéral mais aussi les échelons régionaux et municipaux). Événement symptomatique de cet environnement économique contraint : le 27 février, le PDG de Rosatom rencontrait le président Poutine, et, soulignant la parfaite cohérence du projet Lider avec la ligne de développement économique du pays pour l’Arctique, il appelait le gouvernement à prendre une décision sur la construction de ce brise-glace de nouvelle génération, l’espérant pour fin 2018 ou début 2019. Il semblait tenter de dépasser la question cruciale des financements en évoquant la perspective de partenariats avec les principaux acteurs appelés à développer les ressources de l’Arctique, dont Novatek.

Des risques d’instabilité institutionnelle et de complications bureaucratiques, assez classiques en Russie, semblent également peser sur la stratégie pour l’Arctique. En septembre 2017, le vice-Premier ministre Rogozine, président de la commission étatique pour l’Arctique, signalait que celle-ci ne permettait pas de répondre de manière adéquate aux défis du développement de la région et appelait à la création d’un organe permanent de contrôle et de gestion. Et d’évoquer plusieurs options, dont une agence fédérale, une compagnie d’État dédiée (dont, selon lui, la mise sur pied prendrait cependant quatre à cinq ans), ou encore la prise en charge de ces enjeux par une corporation déjà existante[5]. Lors d’une réunion de cette même commission en décembre 2017, il a été annoncé que Vladimir Poutine avait approuvé une proposition affectant à Rosatom les fonctions et attributions concernant la réalisation des services de l’État concernant l’activité maritime et la gestion de la propriété d’État dans le cadre de la Route maritime du Nord et des territoires adjacents. A ce stade, D. Rogozine a chargé Rosatom de préparer des propositions à inclure dans le plan de réalisation de la stratégie de développement de l’Arctique.

Dans le programme de développement socio-économique de l’Arctique, l’accent, pour la troisième étape, est placé sur les zones de développement spéciales (opornye zony razvitiia) concernant huit régions de la Fédération de Russie[6] :

  • Kola (ressources naturelles) ;
  • Arkhangelsk (construction navale, constructions mécaniques, logistique, industrie du bois, tourisme, extraction de plomb, zinc et argent ; la région mettra aussi l’accent sur le développement de l’infrastructure de transport, point crucial pour la valorisation de la zone Arctique) ;
  • Nenets (zone centrée sur l’exploitation du plateau continental, elle nécessitera le développement de nouvelles voies de transport et de l’infrastructure portuaire) ;
  • Komis/Vorkoutskaya (autour de la municipalité de Vorkouta et du centre d’exploitation charbonnier du bassin de charbon de Petchora – dont la production doit atteindre à terme 21,4 millions de tonnes annuellement) ;
  • Yamalo-Nenets (au cœur de la zone spéciale : un cluster pétrochimique) ;
  • Taïmyr-Touroukhansk (autour de Nornickel ; exploitation de gisements de charbon, notamment avec les activités de la compagnie Vostok Ougol’, qui entend exporter vers l’Europe occidentale et la zone Asie Pacifique, avec en projet la construction, à Port Dickson, d’un terminal charbonnier pouvant gérer jusqu’à dix millions de tonnes par an ; Loukoil et Rosneft étudient par ailleurs les sous-sols de la zone, pour évaluer les perspectives de création de nouveaux centres d’exploitation d’hydrocarbures) ;
  • Severo-Iakoutskaya (accent sur le développement de l’infrastructure de transport maritime – avec la reconstruction de ports et d’aéroports à vocation régionale et locale, la formation d’un chantier naval de haute technologie à Jataï, la construction de bâtiments fluviaux de différents types et de bâtiments de classe fleuve-mer) ;
  • Tchoukotka (zone également axée sur le développement d’infrastructures de transport multimodales – à vocation régionale mais aussi de connexion, par voie aérienne, au reste de la Russie).

Il apparaît ainsi clairement que les axes prioritaires guidant le développement de ces zones spéciales, présentées par les autorités russes comme le mécanisme clef de la mise en œuvre du programme pour l’Arctique, sont le développement des infrastructures de transport d’une part ; la formation de centres de ressources naturelles et de matières premières d’autre part. Le souci de compenser l’épuisement annoncé des gisements d’hydrocarbures actuellement en exploitation demeure effectivement un enjeu clef. La valorisation du nord de la presqu’île de Yamal et des eaux territoriales des baies de l’Ob et de Tazov en mer de Kara figure en bonne place dans cette démarche. À terme, l’objectif est de faire en sorte que 30 % de l’extraction de gaz à l’échelle nationale se fassent à partir de cette région, permettant entre autres de développer les exportations vers l’Asie et de construire de nouveaux terminaux pour la production de GNL en Arctique[7].

 

[1] « V RF programma razvitiia Arktiki prodlena do 2025 goda » [La Fédération de Russie proroge le programme de développement de l’Arctique jusqu’en 2025], regnum, 31 août 2017.

[2] https://arctic.gov.ru/. La Commission a largement contribué à l’élaboration de la nouvelle version du programme.

[3] Les deux autres portent sur le développement de la Route maritime du Nord et la navigation en Arctique ; sur la création d’équipements et de technologies pour les secteurs des hydrocarbures et de la construction mécanique industrielle nécessaires pour la valorisation des ressources naturelles en Arctique.

[4] Selon le ministre du Développement économique, cité in « RF potratit na osvoenie Arktiki bolee 160 mlrd roubleï do 2025 goda » [La Fédération de Russie va dépenser plus de 160 milliards de roubles pour la valorisation de l’Arctique d’ici à 2025], TASS, 31 août 2017. Une source officielle évoquait, en avril 2018, un montant de 190 milliards (site de la commission d’État pour le développement de l’Arctique).

[5] « Decision on Possible Establishment of Arctic Development Corporation may be Made by Mid-Fall – Rogozin », Interfax-AVN, 8 septembre 2017.

[6] « Opornye zony razvitiia sostaviat osnovou gosprogrammy po Arktike » [Les zones de développement spéciales formeront la base du programme d’État sur l’Arctique], TASS, 7 septembre 2017.

[7] Ibid.