Bulletin Février 2020 – Institutions arctiques – Régulations environnementales – Enjeux juridiques

Arctic Frontiers 2020

Étonnamment, lors de la journée d’ouverture de la session 2020 de la conférence Arctic Frontiers qui a lieu tous les ans à Tromsø, en Norvège, le débat sur le statut juridique de l’Arctique et la gouvernance de la région a été relancé.

Dans son discours prononcé le 28 janvier, lors de la première séance plénière de la session 2020 d’Arctic Frontiers, la ministre des Affaires étrangères norvégienne, Ine Eriksen Søreide, a déclaré qu’il n’y avait pas de vide juridique en Arctique (“no legal vacuum in the Arctic”) et que l’efficacité du multilatéralisme et l’adhésion à l’Accord de Paris étaient clef pour assurer un avenir à l’Arctique (“Effective multi-lateralism and adherence to the Paris Agreement vital to secure a positive future for the Arctic”). Cette position est dans la stricte ligne de la politique étrangère norvégienne sur le multilatéralisme et sur la gouvernance Arctique, affirmée aux côtés des autres États riverains dans la déclaration d’Ilulissat de 2008. Elle rejoint néanmoins l’opposition arctique qu’avait rencontrée le document produit par le ministère français des Armées en septembre 2019, « La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique » dans lequel Paris envisageait l’Arctique comme un territoire de compétition, sujet d’une course à l’appropriation.

Mais, toujours lors de cette première séance, de manière plus surprenante, le professeur Bobo Lo a réintroduit l’idée d’établir un traité de l’Arctique sur le modèle de celui de l’Antarctique, alors que cette proposition est très controversée par les États riverains de l’océan Arctique. Cette proposition a fait l’objet d’une discussion entre la Ministre norvégienne et le Ministre finlandais pour le développement et la coopération, qui ont insisté sur les mécanismes de gouvernance existants qui fonctionnent bien.

Par ailleurs, cette journée a été l’occasion de souligner que la Finlande, le Danemark et l’Union européenne sont en train de mettre à jour leurs stratégies arctiques et la Norvège va publier un livre blanc sur les enjeux arctiques fin 2020.

Le traité du Svalbard au défi pour son centenaire

Le traité du Svalbard, signé le 9 février 1920 à Paris, qui place l’archipel du Svalbard sous souveraineté norvégienne, célèbre ses 100 ans en 2020. Si à l’époque ce traité fut un remarquable succès de coopération entre États, des défis importants au régime juridique qu’il établit sont apparus au cours du temps. Le centenaire pourrait être l’occasion de proposer une éventuelle réforme du traité.

Au moment de sa signature, le traité du Svalbard a non seulement clarifié le statut international de l’archipel en le plaçant sous la souveraineté norvégienne et en accordant à tous les États adhérant au traité des droits commerciaux sur les ressources du Svalbard, mais il a également eu une implication géopolitique. En accordant la souveraineté sur l’archipel à un État relativement petit et non menaçant, il maintenait ainsi le Svalbard en dehors de l’éventail des grandes puissances.

Mais « l’environnement sécuritaire de l’Arctique a profondément changé […] et [le traité] est maintenant confronté à de nouveaux défis, qui ne pouvaient être envisagés par ses créateurs » et qui menacent la stabilité du régime. Parmi ceux-ci, Koivurova et Holiencin citent : l’incertitude quant à la portée géographique du traité (inclut-il également le plateau continental ?), qui oppose en particulier la Norvège et la Russie ; l’augmentation éventuelle des possibilités de pêche dans les eaux entourant le Svalbard, qui pourrait renforcer encore l’intérêt commercial pour cette zone ; et les incertitudes juridiques concernant le statut des aires (colonne d’eau et fond marin) au large de l’archipel. Le conflit juridique sur “le crabe des neiges” illustre ces tensions. La décision de la Cour suprême norvégienne de février 2019, caractérisant le crabe de sédentaire, s’inscrit et conforte la position norvégienne concernant l’interprétation du traité de Svalbard, définissant la gestion des ressources naturelles sur la zone et pourrait affecter à l’avenir les droits sur les ressources de gaz et de pétrole dans la région. Le gouvernement norvégien souligne qu’il détient des droits exclusifs sur le plateau continental de Svalbard alors que cette position est contestée par la plupart des autres pays signataires. Un autre défi important est l’accusation selon laquelle le Svalbard serait utilisé pour des activités militaires, ce qui irait contre l’esprit du traité qui en fait un territoire démilitarisé et neutre (article 9).

D’après les deux chercheurs cités, le principal problème face à ces nouveaux défis est que le traité du Svalbard ne prévoit aucun mécanisme de règlement des différends (comme l’usage militaire présumé) ni aucun mécanisme multilatéral de rencontres.

Cependant, malgré le nouvel environnement sécuritaire, les dispositions du traité du Svalbard sont considérées comme valables et légitimes et il a globalement bien fonctionné au fil des ans. Malgré une position qu’on peut juger très protectrice et rigide sur le sujet, les deux auteurs soulignent aussi que la Norvège a jusqu’à présent exercé sa souveraineté sur le Svalbard de manière plutôt responsable et équilibrée, tout en tenant compte des droits des autres signataires du traité, ce qui a constitué un stabilisateur crucial.

Conseil de l’Arctique à la COP 25

La participation du Conseil de l’Arctique à la COP 25 de la Conférence sur le Changement Climatique des Nations-Unies qui s’est tenue à Madrid en décembre 2019, a été marquée par l’organisation d’un “side event” sur l’acidification des océans.

La présidence islandaise du Conseil s’est félicitée du fait que tous les États arctiques ont pu s’entendre sur une manifestation parallèle (“side event”) commune sur l’acidification des océans à la COP 25. En effet, alors que l’acidité des océans de la planète augmente plus vite qu’à aucun moment au cours des 55 derniers millions d’années, certains des taux d’acidification des océans les plus rapides se produisent dans l’Arctique. Cela peut avoir de graves conséquences pour l’écosystème et les personnes et communautés qui en dépendent. Pour autant, il n’était pas évident de réussir à convaincre tous les acteurs du Conseil de l’Arctique de faire un événement commun au regard de la position des États-Unis lors de la dernière réunion ministérielle de Rovaniemi, refusant de mentionner le réchauffement climatique dans la déclaration finale.

Pour autant, les huit États arctiques, les organisations autochtones ayant le statut de participant permanent au Conseil de l’Arctique et les groupes de travail du Conseil ont réussi à monter une manifestation parallèle à la COP 25 intitulée « Tous à bord ! Combattre l’acidification des océans polaires« . Le Conseil de l’Arctique est un acteur important sur le sujet : il promeut une forte coopération sur des projets liés à l’acidification des océans et son programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique a produit des évaluations circumpolaires complètes.