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Ruptures ou continuité quant aux questions arctiques au Canada : quelle marge politico-stratégique de manœuvre pour un nouveau gouvernement et la refonte annoncée de la stratégie canadienne de sécurité1L’auteur, Samir Battiss, participe à un groupe de réflexion et de proposition dans la cadre de la consultation d’experts par le bureau du Premier ministre canadien (Bureau de Conseil Privé). ?

Pour le Canada, peut-être plus que pour d’autres États, la célèbre citation de Napoléon est de rigueur : « toute politique d’un État réside dans sa géographie ». Les données géographiques sont en effet parmi les premières qui entrent en ligne de compte lorsque le stratège canadien pense la sécurité et la défense du territoire. Cet invariant géostratégique affecte directement la conception canadienne de la sécurité de sa (future) façade nord, tant dans son analyse des risques et menaces que dans l’élaboration de son contrat opérationnel avec ses forces armées.

Traiter des questions arctiques au Canada, c’est d’abord parler géographie physique et humaine, avant même d’aborder les questions sous un angle géopolitique. Elle constitue un des invariants de sa politique de sécurité.

La spatialité de l’arctique canadien recouvre d’abord la dimension territoriale classique (terrestre, maritime et aérienne). Il s’agit ensuite de l’espace extra-atmosphérique qui ne relève pas de la territorialité classique. Une autre dimension est la « territorialité virtuelle », zone d’activités d’acteurs transnationaux où sont en jeu des données non matérielles (investissements économiques, patrimoine culturel, transits / points de collectes d’information scientifiques ou stratégiques). La frontière actuelle du Canada est le résultat de quelque 20 traités, accords et protocoles, conclus de la fin du 18e siècle au début du 20e siècle. Elle s’étend sur 8 891 km, de l’Atlantique au Pacifique et du Pacifique à la mer de Beaufort. Des parties de la frontière avaient été définies par des commissions spéciales avant 1908.

Politiquement et juridiquement, la reconnaissance de ces frontières crée des droits, des obligations, et des devoirs pour le Canada (par exemple, ceux liés à la Recherche & Sauvetage ou à la Zone Économique Exclusive de 7,1 millions km2, environ 70% de la superficie terrestre) ; ils découlent de la souveraineté qui s’exerce à l’intérieur des frontières ou conjointement dans les cadres politiques et sécuritaires matérialisant la continuité continentale nord-américaine (par exemple, North American Aerospace Defense Command NORAD). Cette dernière est omniprésente dans les différents documents stratégiques canadiens. Si cette continuité semble géographiquement évidente, elle prend également des dimensions immatérielles affectent la défense continentale (par exemple sur la frontière sud : sous forme capitalistique pour les industries de défense ; au nord, dans une dimension cultuelle, au sein de l’Arctic Athabaskan Council ou du Conseil des Communautés Gwich’in d’Alaska et du Canada).

Les aspects nationaux et nord-américains en Arctique s’expriment de manière incontournable dans la définition des enjeux canadiens politico-stratégiques. Ils expliquent partiellement les différentes approches adoptées et les rôles joués par le Canada. Ces postures canadiennes balayent un large spectre allant d’une démarche diplomatique et institutionnelle non sécuritaire à une forme particulièrement avancée d’intégration militaire. Elles se manifestent par la co-création de structures de consultation sur une base technique, politique ou culturelle ; elles constituent autant de forums d’exercice de sa politique étrangère arctique, à géométrie variable, pour la défense et la promotion de ses intérêts. Les dossiers sécuritaires sont prioritairement traités dans les structures canado-américaines continentales (NORAD) tout en étant le moins multilatéralisés possibles par blocage, au sein de l’OTAN notamment (en opposition à la Norvège).

La géographie et une lecture principalement nord-américaine de la sécurité en Arctique conduisent le Canada à la préparation et à la conduite des actions de natures diverses dans le domaine de la sécurité de cette aire.

En cours de préparation, le « nouveau » document stratégique du Canada devrait néanmoins s’appuyer sur les invariants stratégiques évoqués et sur les enjeux de politique interne. Cependant, la dimension militaire très présente dans la communication gouvernementale précédente devrait s’atténuer pour des raisons de différentiation politique du nouveau gouvernement. Cela n’enlève en rien la dimension structurante des Forces canadiennes en raison également de leur rôle non combattant et logistique.

Parmi les risques probables et les menaces envisagées, peuvent être retenus : les problèmes sociaux dus aux changements environnementaux (augmentation de la criminalité par l’entrée illégale de personnes ou de biens ou encore le trafic de drogues) ; des perturbations sociales importantes en cas de mauvaises distributions des richesses ou de mauvaise gestion du développement socioéconomique ; l’éven­tualité d’incursions militaires étrangères dues à des revendications territoriales, des attentats terroristes ou des attaques perpétrées dans les flux de circulation, maritime et aérienne.

Le Contrat opérationnel des Forces canadiennes en Arctique ne devrait pas connaître de ruptures majeures. Les Forces canadiennes (Marine et Aviation Royales ; les Forces terrestres) dans la stratégie arctique du Canada devraient continuer à se structurer autour de quatre missions principales :

  • Missions de routines dans le cadre d’opérations quotidiennes sur tout le territoire national, incluant l’Arctique, et le Continent au sein du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) ;
  • Missions de soutien dans le cadre d’un événement international important au Canada ;
  • Missions de combats ou/et de soutien en réponse à une attaque terroriste importante ;
  • Missions de souveraineté et de Prévôté en appui aux autorités civiles en cas de crise en arctique canadien et dans sa zone de responsabilité internationale en cas de catastrophe naturelle.

Il s’agit dès lors pour les autorités de disposer des moyens et ressources nécessaires2Pour les forces terrestres, les moyens/capacités permettant la mobilité du soldat et de la force en milieu arctique ; permettant le combat en milieu arctique (équipements, armes et munitions) ; préparant le soldat et la force au milieu arctique/permettant l’instruction du soldat/de la force. Pour les forces navales, les capacités de surface et extracôtières en milieu arctique (Action de l’État en Mer. Missions de Souveraineté, via patrouilleurs notamment), capacité aéronavales/aéroterrestres en milieu arctique (Action de l’État en Mer, notamment pour S.A.R) ; et les capacités sous-marines (missions de souveraineté, notamment). Pour les aspects aériens et aérospatiaux, le transport et le ravitaillement des zones arctiques ou de la force ; la Reconnaisance/Surveil­lance / Perception/Acquisition d’objectifs ; l’Alerte Précoce (y compris interopérabilité multinationale notamment NORAD pour l’Amérique du Nord)/ Interception. dans divers domaines :

  • Interopérabilité doctrinale avec les autres acteurs gouvernementaux et locaux ;
  • Connaissance de la situation (Situational Awareness) afin de percevoir non seulement les contextes physiques (maritime, terrestre, aérien et spatial) et virtuels, mais également le regroupement, l’évaluation et la diffusion des renseignements recueillis pour obtenir une image commune de la situation opérationnelle ;
  • Capacité expéditionnaire dans son volet « projection » et « soutenabilité » de l’effort au-delà de 66,5 degrés de latitude nord. Ce qui passe par des investissements dans des infrastructures et la disposition d’un réseau de transport aérien et maritime stratégique ;
  • Coordination des efforts avec le NORAD.

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1. L’auteur, Samir Battiss, participe à un groupe de réflexion et de proposition dans la cadre de la consultation d’experts par le bureau du Premier ministre canadien (Bureau de Conseil Privé).
2. Pour les forces terrestres, les moyens/capacités permettant la mobilité du soldat et de la force en milieu arctique ; permettant le combat en milieu arctique (équipements, armes et munitions) ; préparant le soldat et la force au milieu arctique/permettant l’instruction du soldat/de la force. Pour les forces navales, les capacités de surface et extracôtières en milieu arctique (Action de l’État en Mer. Missions de Souveraineté, via patrouilleurs notamment), capacité aéronavales/aéroterrestres en milieu arctique (Action de l’État en Mer, notamment pour S.A.R) ; et les capacités sous-marines (missions de souveraineté, notamment). Pour les aspects aériens et aérospatiaux, le transport et le ravitaillement des zones arctiques ou de la force ; la Reconnaisance/Surveil­lance / Perception/Acquisition d’objectifs ; l’Alerte Précoce (y compris interopérabilité multinationale notamment NORAD pour l’Amérique du Nord)/ Interception.