Bulletin Juin 2019 – Institutions arctiques – Régulations environnementales – Enjeux juridiques

Forum arctique de Saint-Pétersbourg

Lors du 5ème forum Arctique russe organisé par le Président Poutine pour promouvoir le développement de l’Arctique, la coopération politique a été promue comme condition des projets économiques.

Le 10 avril 2019 s’est clôturé le cinquième Forum international Arctique, organisé à Saint Pétersbourg à l’initiative du Kremlin. Moscou a pu présenter ses projets ambitieux d’intensification du développement économique en direction de ses territoires et mers arctiques. Novatek, Gazprom, Nornickel ou Rosatom faisaient partie des organisateurs (Forum Arctique – Organisateurs). Cette nouvelle édition a rassemblé 50% de participants en plus que la précédente, issus de deux fois plus de pays (Forum Arctique – Histoire). L’intérêt international pour le développement du Nord russe est à présent confirmé, et la Russie est à la recherche de partenariats technologiques et financiers.

Le développement commercial de la Route maritime du nord et l’exploitation du sous-sol étaient au cœur des discus­sions, alors que l’Arctique russe représente 20% du PIB et des exportations du pays, et 10% des ressources liées au pétrole et au gaz. Moscou a également réaffirmé son objectif d’atteindre 80 millions de tonnes de fret annuel par la Route maritime du Nord d’ici 2025 (quatre fois plus qu’actuellement).

La conférence “Arctic, Territory of Dialogue“ est également un moyen d’appeler à la coopération politique – et donc économique. Souvent présentée comme la bête noire de l’Arctique, la Russie pourrait faire figure de leader politique dans la région, à présent que les États-Unis ont abandonné toute bonne volonté politique. Elle prendra d’ailleurs la présidence du Conseil de l’Arctique en 2021. Plus que jamais, le déploiement d’investissements et de technologies dans l’Arctique nécessite un climat politique apaisé auquel tout le monde a intérêt – la Russie en premier lieu. Aux côtés du président Poutine, la séance plénière a réuni les chefs d’État de l’Islande, de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, qui tous ont réaffirmé leur intérêt dans la coopération politique et économique circumpolaire.

Il est à noter que la seule présence française sur scène était celle de l’Ambassadrice de France en Russie. Sylvie-Agnès Bermann était présente au panel sur le climat en Arctique (Forum Arctic Programme).

 

Échec historique de la 11ème réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique

L’administration Trump a joué les trouble-fête lors de la 11ème réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique, bloquant la signature du traditionnel accord multilatéral en raison d’un désaccord sur le terme “changement climatique”. Mike Pompeo a également fustigé l’attitude “agressive” de la Chine et de la Russie dans la région.

C’est un événement inédit dans la géopolitique de l’Arctique : les huit ministres des Affaires étrangères de la région ont pour la première fois échoué à s’entendre sur une déclaration commune. Mardi 7 mai 2019 s’est tenue la 11ème réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique. Cette réunion ministérielle qui conclut la présidence tournante d’un État – ici la Finlande – se clôt traditionnellement par une déclaration commune. Or, les États-Unis ont joué mardi les trouble-fête en refusant de signer un document faisant mention du terme « changement climatique ». Lors de la précédente réunion en 2017, Rex Tillerson avait pourtant été plus conciliant, même si deux mois plus tard les États-Unis quittaient l’accord de Paris.

Cette fois, l’administration Trump s’est montrée intransigeante. La veille de la réunion, le secrétaire d’État Mike Pompeo avait donné le ton, fustigeant dans un discours extrêmement virulent la présence chinoise dans la région ainsi que la position canadienne et russe concernant les passages maritimes (Discours de Mike Pompeo, 6 mai 2019). Mike Pompeo a accusé Pékin de “comportement agressif”, soupçonnant publiquement la Chine d’utiliser une présence civile pour renforcer sa présence militaire à travers le déploiement de sous-marins.

Le discours de Mike Pompeo semble avant tout être un coup de politique interne. Et en attendant la prochaine réunion au sommet dans deux ans, le travail de fond du Conseil réalisé par les scientifiques et experts continue plus discrètement.

Faute de déclaration commune, la présidence finlandaise a publié un document soulignant habilement qu’une « majorité des pays Arctiques » considèrent le changement climatique comme un enjeu majeur, et font tout pour le combattre (Conseil de l’Arctique, 7 mai 2019). La prochaine réunion sous la présidence islandaise des « Senior Arctic Officials » du Conseil de l’Arctique aura lieu les 18-19 juin 2019, et sera l’occasion de vérifier les conséquences à moyen terme des déclarations étatsuniennes sur le multilatéralisme arctique.

Arctic Circle Forum à Shanghai

La conférence “Arctic Circle”, fondée par l’ancien président islandais Ólafur Ragnar Grímsson, s’est exportée pour la première fois en Chine du 10 au 11 mai 2019. Suite aux attaques de Mike Pompeo, les représentants chinois ont mis en avant leurs intentions pacifiques mais néanmoins déterminées sur le plan économique.

Le programme du forum “Arctic Circle” de Shangaï, organisé par le Ministère des Ressources Naturelles chinois les 10 et 11 mai 2019, s’est sans surprise essentiellement articulé autour des questions de développement économique. Dans les panels internationaux étaient invités chercheurs, diplomates et entrepreneurs. Dans le panel sur la coopération, on a pu noter la présence de Nicolas Chapuis, ambassadeur de l’Union européenne en Chine. Au programme se trouvaient les Routes polaires de la soie, le développement des projets énergétiques, les investissements en termes de transport.

Le Président Grímsson a ouvert la séance en déclarant : « The security of Shanghai in the future will be determined in the Arctic. ». Quelques jours après l’attaque du Secrétaire d’État américain, le forum a été l’occasion de répondre aux saillies de Mike Pompeo qui accusait la Chine d’attitude « agressive » en Arctique et lui reprochait un agenda militaire caché. Wang Hong, Directeur de l’Administration Océanique Chinoise, a ainsi prononcé un long plaidoyer pour le dialogue et la coopération régionale. Les représentants chinois ont répété que Pékin ne revendique aucun territoire en Arctique.

La Chine n’a pas reculé d’un pouce cependant sur son attitude en Arctique. L’administrateur pour l’Administration océanique du Ministère des Ressources naturelles a répété pendant la session d’ouverture que la Chine est un “État presque arctique” (Eye on the Arctic, 15 mai 2019). Cette affirmation, présente dans la politique arctique chinoise (China’s Arctic Policy, 26 janvier 2018), avait provoqué la fureur de Mike Pompeo quelques jours auparavant. Le Secrétaire d’État américain avait martelé : « Il n’y a pas d’États “presque arctiques”. Il y a simplement des États arctiques et des États non-arctiques » (Discours de Mike Pompeo, 6 mai 2019).

La Chine se place cependant comme un acteur déterminé en Arctique. L’organisation à grands frais de cette conférence lui donne l’occasion de contourner les instances traditionnelles de coopération où elle n’a pas droit à la parole. Ne pouvant pas réagir à la déclaration de Mike Pompeo à Rovaniemi dans le cadre du Conseil de l’Arctique, cette plate-forme “à domicile” était le lieu tout trouvé de déclarations de bonne volonté. La Chine devrait bénéficier d’une plus grande ouverture envers les pays non-arctiques avec la nouvelle présidence islandaise du Conseil de l’Arctique. L’Islande, pays non-riverain de l’océan Arctique, se montre en effet très ouverte à la coopération scientifique, écono­mique et commerciale avec la Chine, depuis que cette dernière lui a permis de se relever de la crise financière de 2008.

L’OMI obtient le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique

Lors de la 11ème réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique qui clôturait la présidence finlandaise, l’OMI s’est vu octroyer le statut d’observateur, ce qui révèle le rôle croissant de l’OMI dans la production du cadre normatif de l’océan Arctique.

Lors de la 11ème réunion interministérielle du Conseil de l’Arctique qui a eu lieu à Rovaniemi en Finlande et qui clôturait la présidence finlandaise, l’Organisation maritime internationale (OMI), institution spécialisée des Nations Unies chargée d’assurer la sécurité et la sûreté des transports maritimes et de prévenir la pollution des mers par les navires, a obtenu le statut d’Observateur. C’est la quatrième organisation de la famille des Nations-Unies à l’obtenir après le PNUD, le PNUE et UN-ECE (liste).

L’obtention du statut d’observateur vient couronner l’implication croissante de l’OMI dans la réglementation des zones maritimes polaires. Elle fait suite à une série de déplacements du Secrétaire général depuis 2014 auprès du Conseil de l’Arctique ou de ses États-membres comme la Finlande pour promouvoir le rôle de l’OMI en Arctique et la nécessité de la collaboration entre les deux organisations au regard du développement économique et l’augmentation de l’activité commerciale notamment par voie navigable avec la fonte des glaces (Discours aux SAO 2014, 2017 et discours en Finlande 2018).

Ce sont notamment les travaux du comité de la protection du milieu marin (MEPC) et du sous-comité de la prévention de la pollution et de l’intervention (PPR) qui ont joué un rôle de plus en plus important dans l’adoption de réglementations sur la navigation en eaux polaires : Directives pour les navires exploités dans les eaux polaires (2010) et le Recueil sur la navigation polaire connu sous le nom de Code polaire (2017), travail actuel du PPR sur un moratoire de l’utilisation du fuel lourd par les navires dans les eaux arctiques.

Le Secrétaire général de l’OMI, M. Kitack Lim, a salué dans son discours d’ouverture du Comité MEPC 74 qui s’est tenu à Londres du 11 au 17 mai 2019, le rôle actif de la Finlande dans cette obtention. La Finlande qui avait la présidence du Conseil de l’Arctique, est également très impliquée dans les groupes de travail de chacune des organisations portant sur les sujets similaires à travers l’Office finlandais pour la sécurité des transports. Conseillère pour le transport maritime auprès de l’Office, le Dr Anita Mäkinen a été élue vice-présidente du sous-comité PPR pour 2020 avec le soutien de la délégation française lors de la session PPR 6 (18-22 février 2019). Elle est par ailleurs présidente du forum dédié à la mise en œuvre du Code polaire établi par le groupe de travail PAME et de la délégation finlandaise dans la task force sur la coopération marine en Arctique.

Les travaux de l’OMI et du Conseil de l’Arctique se bénéficient mutuellement contribuant à la production de normes régulant les activités dans l’océan Arctique. Et en 2016, le Guide sur la lutte en cas de déversements d’hydrocarbures dans les conditions arctiques a été développé conjointement par l’OMI et le groupe de travail EPPR du Conseil de l’Arctique.

 

Camille Escudé (GEG), Emilie Canova (GEG)