Bulletin Juin 2020 – Institutions arctiques – Régulations environnementales – Enjeux juridiques

La Norvège ratifie le moratoire sur la pêche dans l’océan Arctique central

En mai 2020, la Norvège a ratifié l’Accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central, plus couramment appelé “moratoire sur la pêche”. C’est ainsi la sixième Partie signataire sur dix à le ratifier.

Négocié entre 2015 et 2017, l’Accord a été signé en 2018 par dix Parties : les cinq États côtiers de l’Arctique, l’Union européenne, la Chine, l’Islande, le Japon et la Corée du Sud. La Norvège a ratifié (source : norvégien) cet Accord en mai 2020 après que le Parlement norvégien a donné son autorisation le 31 mars 2020.

L’Accord, juridiquement contraignant, met en application le principe de précaution en matière de gestion des pêches. Les principales mesures sont les suivantes : l’instauration d’un moratoire de 16 ans sur la pêche commerciale, qui peut être prolongé automatiquement tous les 5 ans à moins que l’une des parties ne s’y oppose selon une approche basée sur le consensus ; l’établissement d’un programme conjoint de recherche scientifique et de surveillance (les discussions sont en cours sur la forme qu’il prendra) ; et l’établissement d’une ORGP si les recherches y incitent.

L’Accord entrera en vigueur une fois ratifié par les 10 Parties signataires et durera 16 ans. Après cette date, il sera automatiquement reconduit tous les 5 ans à moins que l’une des Parties ne s’y oppose expressément.

La sécurité en Arctique, enjeu de discussions internationales : une nouvelle instance de gouvernance arctique sur les questions sécuritaires ?

Après une session sur l’Arctique organisée à la Munich Security Conference (MSC) en février 2020, la proposition de créer une instance de gouvernance arctique dédiée aux questions sécuritaires a de nouveau été évoquée par le nouvel ambassadeur de l’UE pour l’Arctique, Michael Mann.

En février 2020, l’Arctique a de nouveau fait l’objet d’une table ronde à la MSC. C’est la suite d’une série d’événements du MSC consacrés à la sécurité dans l’Arctique, dont le dernier notable était la table ronde organisée l’an dernier, en mai 2019 à Helsinki, en même temps que la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique dont la Finlande finissait la Présidence. Le but était d’échanger sur les meilleures pratiques de gouvernance des océans entre les acteurs des différentes régions pour aider à gérer les sources de tension dans l’Arctique.

Cette année, le Norwegian institute for international affairs (NUPI) a publié un rapport intitulé “A Governance and Risk Inventory for a Changing Arctic” en amont de la conférence pour servir de base aux discussions. Si ce rapport ne propose pas de nouvelle instance de gouvernance sur les enjeux sécuritaires en tant que telle, il fait un état des lieux des éléments de risques en Arctique (des changements climatiques aux questions stratégiques et militaires en passant par le développement économique) amenant à la conclusion que « les dirigeants doivent continuer à régler les défis à la stabilité régionale et […] qu’il est essentiel de réfléchir activement à la manière dont la stabilité régionale peut être maintenue et renforcée ».

Alors que pour la première fois depuis la Guerre froide, des bâtiments militaires américains et britanniques ont opéré en mer de Barents, pour « tester la liberté de navigation », des discussions sur la nécessité de créer une nouvelle instance de gouvernance arctique dédiée aux questions sécuritaires, qui ne sont pas du mandat du Conseil de l’Arctique, avaient émergé lors de l’Arctic circle assembly à l’automne 2019. Cette idée a de nouveau été évoquée par le nouvel ambassadeur de l’UE pour l’Arctique, Michael Mann, dans un entretien à Politico, sans plus d’information sur la forme exacte que celle-ci pourrait prendre.

Il est à noter que des instances de coopération dans les affaires militaires et stratégiques existent entre certains pays arctiques comme le NORDEFCO entre le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède. Par ailleurs, alors que la Norvège, l’Islande et le Danemark sont membres de l’OTAN, ce qui n’est pas le cas de la Suède et de la Finlande.

Cette hypothétique instance de gouvernance sur les enjeux sécuritaires soulève enfin deux questions importantes : celle de la place des acteurs non arctiques dans cette enceinte, alors que la proposition semble soutenue par l’UE, et celle de la définition des enjeux sécuritaires : sera-t-il question des enjeux strictement militaires et stratégiques ou est-ce que cela inclura aussi les risques dus aux changements climatiques et environnementaux ainsi que la sécurité humaine (au risque de recoupements avec le mandat des groupes de travail du Conseil de l’Arctique) ? Ces deux questions seront déterminantes sur le degré d’implication de la Russie dans cette instance.

L’exercice transfrontalier “Barents 2020” de recherche et sauvetage annulé en raison du Covid‑19

L’exercice annuel de recherche et sauvetage (S & R) “Barents 2020” entre la Norvège et la Russie qui devait se dérouler en mai 2020 a été annulé en raison de la pandémie de Covid-19.

Cet exercice de recherche et de sauvetage transfrontalier se déroule normalement dans les zones frontalières maritimes de la Norvège et de la Russie, en mer de Barents. Au-delà du groupe de travail du Conseil de l’Arctique EPPR (Emergency, Prevention, Preparedness, and Response) sur ces questions, c’est l’un des rares formats de coopération concrète où le personnel civil mais aussi militaire d’un pays de l’OTAN travaille côte à côte avec la flotte russe. L’exercice se déroule généralement en deux phases : une partie recherche et sauvetage est suivie par un scénario de marée noire. Ces exercices annuels ont pour but de tester la coordination, les communications et le déploiement d’équipements transfrontaliers, des éléments clefs pour assurer une réponse rapide en cas d’incident impliquant des vies humaines et/ou des risques de pollutions marines.

Alors que la Norvège et la Russie se partagent la responsabilité de l’exercice à tour de rôle, et après l’annulation de l’exercice 2020 par la Russie, la Norvège sera en charge de l’organisation de la prochaine édition en 2021.

Tensions autour du traité de Svalbard

Alors que 2020 marque le 100ème anniversaire du traité de Svalbard (voir bulletin n° 10, mars 2020) qui place l’archipel sous souveraineté norvégienne, le régime instauré par celui-ci est parfois remis en cause par plusieurs États Parties, au premier rang desquels la Russie.

Un incident autour d’un navire russe – en train de pêcher illégalement, il a été arrêté en avril 2020 par les garde-côtes norvégiens – a déclenché de nouvelles protestations russes sur le régime du traité de Svalbard et la façon dont la Norvège gère l’archipel. La Russie est mécontente de la façon dont la Norvège gère le traité, et le 4 février, le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov avait officiellement demandé des « consultations bilatérales » sur la gestion des îles.

En dehors de la Norvège, la Russie est le seul des États signataires du traité de Svalbard à avoir fait usage de ses droits pour exercer une activité commerciale dans l’archipel. La Russie se sentirait discriminée par la Norvège et considère que la législation environnementale en vigueur au Svalbard a pour but d’entraver les activités russes. L’Union soviétique s’était d’ailleurs fortement opposée à l’établissement par la Norvège d’une zone de protection de la pêche autour du Svalbard en 1977, une disposition qui étend la souveraineté norvégienne au plateau autour de l’archipel.

Comme l’explique le juriste norvégien Geir Ulfstein (source : norvégien et anglais), si des questions relatives à la souveraineté norvégienne et aux droits des autres États continuent de se poser, ce sont les eaux qui entourent le Svalbard qui constituent les plus grands défis. Le traité de Svalbard dispose que les autres pays ont des droits dans les eaux territoriales (étendues par la Norvège jusqu’à 12 miles nautiques), mais ne dit rien sur les droits au-delà, dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental. Alors que la Norvège affirme que les autres Parties n’ont pas de droits dans la ZEE et sur le plateau continental, d’autres États revendiquent les mêmes droits. Cela a donné lieu à des conflits sur les droits de pêche – tout récemment sur le crabe des neiges avec l’Union européenne.

Malgré ces défis et mécontentements exprimés par les autres États (dont la Chine, la Grande-Bretagne et l’UE), il est improbable que la Norvège accepte une renégociation qui ouvrirait une boîte de Pandore. La Norvège ne veut pas risquer de voir altérer sa souveraineté sur l’archipel. Cependant, selon Geir Ulfstein, il est toujours possible pour la Norvège de changer d’interprétation du texte selon ses volontés politiques en Arctique.

 

Camille Escudé (GEG), Émilie Canova (GEG)