Les dimensions stratégiques de l’Arctique.

(Septembre 2018)

Compte-rendu du séminaire organisé par le Centre George C. Marshall Garmisch Partenkirchen 

Le séminaire

George C. Marshall, le centre européen pour les Études de sécurité, a organisé un séminaire au sein de ses locaux de Garmisch Partenkirchen en Allemagne du 9 au 13 juillet 2018 sur la thématique « The Arctic : risks and opportunities for Europe and North America – Developing strategies to address contemporary security challenges on Europe’s Northern Flank ».

Le séminaire couvrait quatre parties. La première étant de comprendre l’importance stratégique et les facteurs déterminants de l’Arctique. La deuxième s’intéressait à l’analyse des forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces en Arctique, grille d’analyse autrement nommée SWOT. La troisième partie portait sur l’environnement maritime en Arctique, à travers le prisme de différents acteurs. Enfin, la quatrième partie concluait sur le développement d’un cadre plus large de coopération avec des recommandations stratégiques.

Tout l’intérêt de ce séminaire reposait dans l’analyse et l’évaluation des risques, des défis et des opportunités sur les plans géopolitique, géoéconomique et environnemental. Le séminaire avait aussi pour objectif d’examiner le cadre juridique et ses conséquences, ainsi que les possibilités de réduire les risques et de saisir les opportunités et donc d’évaluer les possibilités de coopération. Enfin il était attendu une formulation de recommandations pour une stratégie sur le flanc nord de l’Europe.

Les interventions

Les États-Unis, représentés par LCDR Gosnell, ont présenté leur feuille de route 2030 pour l’Arctique. Cette dernière met l’accent sur la prévention des conflits, dont le risque estimé est faible, malgré un faible investissement. Il est à noter une absence d’infrastructures, de faibles moyens d’intervention d’urgence, un manque d’implication de l’US Navy en raison de la faiblesse du trafic par la route du NW, un manque de moyens capables de naviguer dans la zone, peu d’aides à la navigation et une connaissance insuffisante de l’Arctique. Cependant, la coopération entre les garde-côtes russes et américains dans le détroit de Béring est jugée très positive.

Dr Timur Makhmutov et Dr. Andrei Zagorskiy, au nom de la Russie, ont souligné que la Russie est un pays riverain de l’Arctique, qu’elle est concernée par le réchauffement climatique tout autant que les autres pays. Les préoccupations de la Russie sont stratégiques et économiques, en effet, l’océan Arctique est le principal accès à la haute mer et les réserves de pétrole et de gaz en zone russe sont estimées autour de 120 milliards d’équivalents barils. Le trafic maritime par la route du Nord-Est reste modeste. Dix ports russes sont ouverts aux autres pays, mais le cabotage entre les ports russes constitue l’essentiel du trafic. Dr. Andrei Zagorskiy conteste les 30% de trafic annoncés par COSCO. En 2016, ils n’ont réalisé que six transits entre la Chine et le port de Sabetta.

La Russie considère que le cadre juridique est adapté et que l’absence de contestation entre les États fait que la menace militaire est faible, voire inexistante. L’attention se porte sur la protection de l’environnement, la sécurité des personnes et la possibilité de menaces d’activistes transnationaux (terroristes). Il y a un fort potentiel pour une coopération dans la région, mais les sanctions occidentales empêchent de la développer. Des informations visent à discréditer la Russie telles que l’irresponsabilité en matière d’écologie ou la présence excessive des forces stratégiques russes en Arctique. Les militaires russes ont pour mission de protéger les intérêts de la Russie. Cette dernière renouvelle les capacités de sa Marine, de ses garde-côtes et crée des centres d’opération pour SAR pour lequel la Marine a un rôle à jouer.

La Russie craint la destruction du consensus « Arctique » par l’OTAN par le biais d’une internationalisation de l’Arctique sur le modèle de l’Antarctique. Cependant, les domaines de coopération sont nombreux, l’augmentation de l’activité (économique et touristique) dans la région va nécessiter des moyens de plus en plus nombreux pour la surveiller et intervenir en cas d’incident. Malgré tout, dans la situation actuelle, toute intervention menée unilatéralement peut être mal comprise et conduire à une montée des tensions.

Sur le plan de la sécurité, cette amélioration de la coopération pourrait être réalisée en utilisant les institutions actuelles, en intégrant la sécurité dans le mandat confié au Conseil de l’Arctique, la solution qui consisterait à utiliser le cadre du Conseil OTAN/Russie sera refusée par cette dernière, ou en réactivant des structures parallèles (Arctic Security Forum Roundtable, Meeting of CDS, Arctic Coast Guard Forum) où la Russie n’est plus invitée ou marginalement (ACGF).

L’absence actuelle d’échange entre la Russie et les autres pays laisse la place à toute sorte d’interprétations et de quiproquos avec des risques de perception erronée des intentions. Il est temps de communiquer à nouveau et d’arrêter de penser à une politique du pire. Les relations avec la Chine sont bonnes sur le plan politique, mais les militaires se montrent inquiets de l’entrisme grandissant de la Chine dans la région.

BG Carpentier (NORAD) a résumé la politique du Canada en trois phrases : fort chez soi, en sécurité en Amérique du Nord, engagé dans le monde. Les infrastructures du NORAD sont difficiles à entretenir dans les conditions Arctiques et les routes maritimes sont tortueuses. Les communications dans le Grand nord reposent pour l’instant sur les satellites : la fibre est en cours d’installation, mais cela prendra du temps. Les risques naturels et le SAR sont les principales préoccupations dans la région dans laquelle les moyens et les infrastructures restent encore très insuffisants.

Pour Lars Saunes (RAdm. rtd), il y a deux perceptions de la Russie en Norvège : celle plutôt inquiète des autorités à Oslo et celle assez sereine des populations du grand Nord qui vivent près de la frontière et sont en contact avec des Russes quotidiennement. Ancien CEMM et chef de garde-côtes, Lars Saunes minimise les tensions et reconnaît l’action efficace des Russes en matière de SAR. Il est davantage préoccupé par l’action des Chinois sur le long terme. La Marine norvégienne consacre 40% de son activité à patrouiller en mer de Barents, d’autant plus que les agences de sécurité maritime norvégienne et russe coopèrent depuis longtemps dans des domaines tels que la pêche illégale entre leurs garde-côtes qui coopèrent également en matière de SAR pour la sécurité des pêcheurs des deux communautés. Les deux pays ont créé une « hot line » entre leurs centres opérationnels.

Analyse SWOT : forces, faiblesses, opportunités et menaces[1]

Forces :

    • Coopération intensive dans de nombreux domaines
    • Risque de confrontation militaire faible pour le moment
    • Domaines suffisamment réglementés : les règles sont respectées, les Traités et compétences sont en place (aux échelles internationales, régionales, nationales)
    • Architecture régionale inclusive des pays de l’Arctique et des observateurs
    • Nombre limité d’acteurs ayant des liens multilatéraux et partageant des attentes communes en matière de paix et de stabilité
    • Force de la région résidant dans la tendance des États à faire un meilleur usage des ressources grâce à la coopération en raison des conditions climatiques, du besoin d’investissements, du savoir-faire, de la technologie…
    • Science utilisée et respectée comme moyen d’accroître les connaissances et d’arbitrer les désaccords

Faiblesses :

    • Sécurisation de l’Arctique (devient l’objet de politiques de sécurité et de défense)
    • Faible intérêt pour cette aire dans certains États de l’Arctique (par opposition à un intérêt croissant pour les États non-Arctiques)
    • Insuffisance de la communication entre les acteurs de l’Arctique et les acteurs extérieurs
    • Augmentation des risques de sécurité liés aux activités économiques et autres activités humaines (déversement d’hydrocarbures…)
    • Manque d’expérience pratique en matière d’intervention conjointe en cas de catastrophe
    • Effets du changement climatique et insuffisance de la coopération sur la question
    • Absence d’une architecture de sécurité régionale inclusive
    • Manque de compréhension globale des organes régaliens des uns et des autres, de leur fonction et de leurs activités
    • Désaccords territoriaux/maritimes non résolus entre les États
    • Complaisance géopolitique (statu quo)
    • Faible densité de population
    • Régimes de réglementation différents
    • Manque de ressources et d’investissements
    • Manque de leadership gouvernemental
    • Conception différente du rôle et des missions des armées
    • Préoccupations transnationales autochtones

Opportunités :

    • Développer l’Arctique de manière durable
    • Élargir la coopération régionale
    • Combler les lacunes qui subsistent en matière de réglementation
    • Renforcer les cadres régionaux (SAR, ACGF)
    • Renforcer et Restaurer les systèmes de communication, envisager une architecture de sécurité inclusive appropriée
    • Coopération accrue en raison de l’augmentation du trafic des acteurs militaires et civils (surveillance)
    • Développer l’esprit de coopération et susciter le besoin de solutions gagnantes-gagnantes
    • Changements géographiques ouvrant la voie à une augmentation des flux commerciaux, de la pêche, et des possibilités de vie dans cette zone
    • Engager davantage les États observateurs
    • Développer des cadres de coopération pour la réglementation de la migration
    • Engagements autochtones et locaux
    • Collaboration pour partager l’infrastructure (réseau satellitaire par exemple)

Menaces :

    • Vulnérabilité aux chocs externes (retombées des développements externes)
    • Intérêt croissant pour les États non-arctiques (par opposition à un faible intérêt dans certains États arctiques).
    • Lacunes dans la réglementation des activités économiques
    • Migrations non réglementées en provenance d’autres parties du monde vers la région
    • Émergence de dépendance à l’égard d’acteurs extérieurs
    • Effets potentiels des activités transnationales non-étatiques (terrorisme, migration illégale, criminalité organisée)
    • Présence d’acteurs mondiaux majeurs dotés de capacités polyvalentes
    • Concurrence pour l’exploitation des ressources naturelles
    • Changement climatique provoquant de nouveaux conflits territoriaux ou augmentant les tensions dans les conflits actuels
    • Moyens stratégiques militaires des grandes puissances présentes dans la région pourraient provoquer une escalade et des conflits dans la région en raison de perceptions erronées et de tensions ou d’accidents
    • L’augmentation des dépenses militaires peut avoir une incidence sur les dépenses consacrées à d’autres aspects du développement
    • Respect du régime règlementaire peut permettre l’accès à des acteurs qui exploiteront l’accès à d’autres fins, sans reconnaître les intentions cachées.

[1] Analyses réalisées par les participants au séminaire. Certaines considérations sont ainsi discutables (tels le caractère inclusive de l’architecture régionale de gouvernance, ou encore le fait que l’Arctique soit suffisamment réglementé…). D’autres constats conduisent à des contradictions entre les quatre catégories du SWOT. La classification d’autres considérations peut apparaître étonnante et sujette à interprétations : les « Préoccupations transnationales autochtones » apparaissent ainsi dans la rubrique « faiblesses ».