Bulletin Juillet 2019 – Canada

Le terme « génocide » accepté par Justin Trudeau suite à la publication d’un rapport sur les femmes autochtones

Acceptée par Justin Trudeau, l’utilisation du terme « génocide » par le rapport issu de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a créé un certain malaise, notamment au Québec qui a fait l’objet d’un rapport complémentaire.

Le 3 juin 2019 a été publiée l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Résultat d’une commission d’enquête publique, ce rapport clôt deux ans d’enquête sur la disparition et l’assassinat de milliers de femmes autochtones au Canada au cours des trois dernières décennies. Les femmes auto­chtones font face à une violence très élevée due aux « actions et inactions de l’État qui trouvent leurs racines dans le colonialisme et les idéologies connexes ». Des cas récents de meurtres, disparitions mais également de stérilisations forcées dans les hôpitaux canadiens (notamment en 2008 au Saskatchewan) y sont dénoncés. Le rapport d’enquête – qui ne mâche pas ses mots – décrit des politiques coloniales “infiltrées” dans les institutions et le gouvernement canadiens. Il cite le terme “génocide” plus de 120 fois ; or, contrairement aux rapports de la Commission de vérité et réconciliation de 2015, cette fois-ci le terme “culturel” n’y est pas accolé. Ceci a engendré un certain malaise dans la classe politique canadienne. Plus particulièrement, le Premier ministre du Québec, François Legault, a notamment critiqué le choix de ce terme – alors qu’un rapport complémentaire ciblant le Québec a également été publié sur la question. Toutefois, le mot “génocide” a été accepté (mais pas reconnu) par le Premier ministre canadien. C’est une nouvelle étape franchie par Justin Trudeau, qui a placé la réconciliation avec les populations autochtones au cœur des priorités de son mandat. À Iqaluit en mars 2019, il avait déjà présenté aux populations inuites les excuses du gouvernement fédéral pour le sort qui leur avait été réservé dans le sud du pays lors du traitement contre la tuberculose. Dans la foulée, il a promis de lancer un « plan d’action national » pour répondre à ce rapport.

Rapport sénatorial sur l’Arctique : Dans le Nord, par le Nord et pour le Nord

Nouveau rapport sénatorial appelant l’État fédéral à investir d’urgence dans le Nord. Ces investissements – notamment dans les infrastructures – permettraient de rendre réelle et effective la souveraineté canadienne, tout en améliorant les conditions de vie des populations locales.

Après deux ans de travaux, le Comité spécial sur l’Arctique a publié en juin 2019 un rapport appelant une nouvelle fois l’État canadien à agir dans le Nord, cette fois-ci de manière urgente, pour répondre aux problèmes des habitants du Nord. Selon la liste produite en annexe de ce document, il s’agit du 57e rapport à se pencher sur l’Arctique depuis 2007. Le mandat du comité portait sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants. Dans son ensemble, ce rapport appelle le gouvernement fédéral à agir rapidement et à investir dans les infrastructures, étant donné le fort retard de développement de cette région – retard qui pourrait avoir des effets négatifs futurs pour la souveraineté du Canada. Ce rapport ne fait que renforcer le senti­ment d’inaction du gouvernement fédéral dans le Nord et démontre à quel point celui-ci est vital dans le développement de cette région. Plus précisément, le rapport fait 30 recommandations. Il recommande notamment la création d’une banque d’infrastructure de l’Arctique pour tenter de pallier le manque cruel d’infrastructures dans le Nord – certaines communautés n’ayant même pas accès à l’eau potable. La volonté de donner plus de responsabilités décisionnelles aux résidents et aux gouvernements du Nord, tout en leur offrant de l’investissement et un soutien continu permettrait aux Inuits de décider de politiques publiques par eux-mêmes, sans passer par Ottawa. Le rapport appelle également à la nomination “indispensable” d’un ministre des Affaires du Nord doté de son propre budget. Il demande aussi au gouvernement de prendre immédiatement des mesures pour régler la crise du logement dans l’Arctique en finançant un éventail complet de logements dans la région ou encore de rendre ce Comité spécial sur l’Arctique permanent afin de poursuivre ses travaux. Enfin, ces investissements demandés sont l’occasion de mener à terme le projet d’édification de la nation canadienne, enjeu identitaire majeur pour le Canada, qui se définit comme un pays Arctique alors même que la majorité de sa population vit dans le sud, près de la frontière américaine. Il est très intéressant de noter que ce rapport fait écho au rapport du Sénat d’avril 2019 (cf. bulletin n°1) qui, bien que se focalisant sur la question de la souveraineté dans l’Arctique et de l’attitude à adopter face à la Russie et la Chine dans la zone, arrive à la même conclusion : sans un Nord fort, c’est-à-dire disposant d’infrastructures, développé économiquement et socialement avec de bonnes conditions de vie, le Canada ne pourra y exercer réellement et effectivement sa souveraineté – les premiers à l’exercer étant les populations inuites, reconnues comme centrales dans cette mission et totalement acquises à celle-ci, notamment via les patrouilles des Rangers canadiens.

Bob McLeod appelle le gouvernement fédéral à investir massivement dans le Nord

Le Premier ministre des Territoires du Nord-Ouest demande au gouvernement fédéral d’investir plus dans le Nord et notamment dans une base militaire de 5 000 soldats à Inuvik.

Dans un contexte de débats sur le futur cadre stratégique Arctique, le Premier ministre des Territoires du Nord-Ouest (TNO), Bob McLeod, souhaite la mise en place d’un plan “à long terme” sur 10 ans pour le développement des infra­structures nécessaires au Nord canadien. Dans l’idée de faire un futur hub de transport, il demande au gouvernement fédéral plusieurs efforts d’investissements : installation d’une base militaire à Inuvik regroupant 5 000 soldats ; double­ment de la flotte de brise-glace des garde-côtes ; construction de trois ports en eaux profondes dans le Passage du Nord-Ouest ; installation d’une université arctique dans l’Arctique et d’une université flottante à bord d’un brise-glace. Il appelle également à la création d’un département fédéral des affaires de l’Arctique installé dans les TNO ainsi que la mise en place d’une politique d’immigration pour peupler le Nord. Ces développements permettraient, selon lui, d’affir­mer une souveraineté apparaissant comme faible dans le Nord. Il constate le retard du Canada dans la course au contrôle et au développement de la région, loin derrière les grandes puissances, retard qui ne donne pas à Ottawa les moyens d’y asseoir sa souveraineté. Il rappelle également que lui et d’autres alertent le gouvernement fédéral depuis longtemps sur la nécessité de développer les communautés du Nord « because strong, healthy communities would be the best evidence of Arctic sovereignty ». L’élection du nouveau Premier ministre des TNO étant prévue pour octobre, ces propositions pourraient toutefois avoir une teinte électoraliste.

Le Canada soumet sa demande finale d’extension du plateau continental à l’ONU

En soumettant sa demande d’extension du plateau continental incluant le pôle Nord, le Canada se lance dans un très long processus de négociation à l’ONU pour définir cette nouvelle frontière maritime, notamment avec le Danemark et la Russie.

Le 23 mai 2019, le Canada a complété sa demande partielle d’extension du plateau continental dans l’Arctique, déposée en 2013 auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC) de l’ONU. Élaborée grâce à 17 expédi­tions de recherches menées parfois conjointement avec le Danemark, la Suède, les États-Unis ou encore l’Allemagne, cette demande revendique 1,2 million de kilomètres-carrés dans l’océan Arctique. Sur ordre du Premier ministre d’alors, Stephen Harper, et à la surprise de la classe politique canadienne et des pays voisins de la zone, elle inclut le pôle Nord – tout comme les demandes danoise et russe. Pour le Canada, revendiquer le pôle Nord est avant tout une question d’identité et non une question de revendications de ressources, puisque ces ressources se trouvent en majorité dans les ZEE. Se définissant comme un pays nordique, cette revendication fait partie du projet national de rassemblement de la population multi-ethnique canadienne. Elle vise également à asseoir la souveraineté canadienne dans cette zone fragi­lisée, notamment par le manque de présence permanente des représentants du gouvernement fédéral (garde-côtes, forces armées par exemple) et par le statut contesté du Passage du Nord-Ouest. Il est important de souligner que cette demande a été formulée en coopération avec les Inuits et saluée par le Conseil Circumpolaire Inuit. Le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne a également indiqué qu’elle représentait un grand pas en avant afin de garantir la souveraineté du Canada dans l’Arctique.

 

Jean-Paul Vanderlinden (CEARC), Magali Vullierme (CEARC), Michael Delaunay (CEARC).