Bulletin Novembre 2019 – Amérique du Nord – Groenland/Danemark – Islande

ETATS-UNIS

Renforcement de la présence militaire américaine depuis plusieurs semaines

Après beaucoup de rhétorique, les États-Unis semblent “prêts” à renforcer leur présence militaire dans la zone. Plusieurs manœuvres et exercices militaires ont eu lieu ces dernières semaines.

Depuis septembre, plusieurs manœuvres ont été effectuées par les militaires américains, dans l’Arctique américain, mais également en partenariat avec l’Islande.

Sur le territoire américain, un exercice appelée “Artic Expeditionary Capabilities Exercise” (AECE) 2019 a engagé 3 000 US Marines entre le 1er et le 28 septembre. Cette manœuvre fait partie d’une série d’exercices prévue par le Commandement Indopacifique en 2019. AECE 2019 a testé les capacités de transfert logistique entre forces expéditionnaires, dans un environnement arctique (déminage, déchargement de matériel, plongée, etc.). Cet exercice a démontré les difficultés du climat arctique, notamment en termes de communication (orages magnétiques violents, hautes montagnes à forte concentration de métaux, faible couverture satellitaires, etc.). A la suite de cet exercice, l’USS Somerset mouillait à Unalaska le 3 octobre, seul port libre de glace des Aléoutiennes. C’était la première fois depuis trente ans que la Marine américaine conduisait un exercice dans les îles aléoutiennes. Toutefois, le rôle de l’Alaska et des Aléoutiennes reste encore incertain à long terme. Actuellement, la seule présence militaire permanente dans les Aléoutiennes se compose de sept personnels des garde-côtes, basés à Unalaska.

En Islande, la Marine américaine a annoncé, le 24 septembre, avoir établi un Centre d’opérations maritimes expéditionnaires (MOC) temporaire à Keflavik. Ce centre accueille 30 membres de la 2ème Flotte – réactivée en juillet 2018 – et de quatre navires à missiles guidés (le croiseur USS Normandy et les trois destroyers USS Lassen, USS Forrest Sherman et USS Farragut). L’Islande sera chargée de coordonner les activités des navires de guerre et d’avions de surveillance P‑8.

Début octobre, les présidents américain et finlandais ont abordé les questions de sécurité et d’environnement en Arctique

Le 2 octobre 2019, le Président finlandais, Sauli Niinistö, était en déplacement à la Maison Blanche. Il y a notamment parlé des enjeux de sécurité et d’environnement des régions arctiques avec Donald Trump.

En déplacement aux États-Unis, le Président finlandais Sauli Niinistö a été reçu par son homologue américain le 2 octobre, à la Maison Blanche. Abordant les problématiques arctiques, les deux présidents ont évoqué les enjeux de sécurité et d’environnement. Le rôle de la Finlande dans l’OTAN a notamment été abordé. Dans une conférence de presse suivant cette rencontre, Trump a souligné la “volonté commune” des deux États de travailler pour un “Arctique libre de toute interférence étrangère” tout en réaffirmant la liberté de navigation dans les eaux arctiques. Niinistö a quant à lui insisté sur la nécessité de garder cette région à un niveau de tension bas et a rallié la position de Trump, qui indique que cette région n’est “pas un endroit pour les militaires”. Le Président finlandais a également évoqué les problématiques environnementales, en mettant l’accent sur deux sujets : la nécessité de réduire les émissions de « carbone noir » (issu des centrales à charbon) et la pollution au plastique.

John Kerry, secrétaire d’État sous Obama et pilier des négociations de l’Accord de Paris, appelle à agir face au changement climatique pendant l’Arctic Circle

Lors de l’assemblée annuelle Arctic Circle, John Kerry a prononcé un discours, largement salué par l’audience, d’appel à l’action face au changement climatique.

Ancien secrétaire d’État sous Obama et pilier des négociations climatiques américaines, John Kerry a prononcé un discours largement salué par l’assemblée. Il a dénoncé le déni des crises climatiques et l’absence de leadership politique sur ces questions. Selon ses propos, les climatosceptiques ont déclaré la guerre aux “preuves scientifiques” et l’on se doit de leur déclarer la guerre à notre tour. Il a également parlé de “World War Zero” [émission] et souhaite que le changement climatique soit le facteur de vote lors des prochaines élections américaines. À cette occasion, John Kerry a également reçu le prix Arctic Circle pour son engagement contre le changement climatique.

Les générateurs diesel exemptés des régulations anti-pollution
par le Congrès

Le Congrès a adopté un projet de loi visant à exempter les générateurs fonctionnant au diesel des réglementations relatives à la qualité de l’air en Alaska.

Le Congrès a adopté un projet de loi visant à exempter les générateurs fonctionnant au diesel des règles relatives à la qualité de l’air pour les régions rurales de l’Alaska. En effet, ces réglementations ont été jugées inapplicables par les services publics de ces régions. Selon Meera Kohler, dirigeant de l’Alaska Village Electric Cooperative, l’équipement supplémentaire permettant d’être en conformité avec les règles relatives à la qualité de l’air ne fonctionne pas assez efficacement dans ces régions. Il nécessite d’utiliser plus de diesel pour une production similaire d’électricité. Cette exemption doit encore être validée par la Maison Blanche.

CANADA

Élections canadiennes – Les libéraux se maintiennent au pouvoir mais sont désormais minoritaires

Le parti libéral du Premier ministre Justin Trudeau se maintient dans le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, mais est battu au Nunavut et au Nunavik.

Le parti de Justin Trudeau est sorti en tête des élections fédérales canadiennes, sans toutefois avoir la majorité absolue au Parlement (170 sièges) avec 157 sièges (principalement en Ontario) et devra donc trouver des soutiens pour gouverner et faire passer des textes de lois avec les autres partis. Aux précédentes élections fédérales, le parti de Justin Trudeau disposait de 177 sièges contre 95 pour les conservateurs et 39 pour le NPD.

Les résultats dans les territoires arctiques sont les suivants :

  • Au Yukon, le député sortant Larry Bagnel, libéral, a été réélu avec seulement 33,4% des votants et 72 voix d’avance sur le candidat conservateur (33,1%).
  • Le député autochtone libéral sortant des Territoires du Nord-Ouest, Michael McLeod frère du Premier ministre du Territoire, a été réélu avec 2 359 voix d’avance et 40% des votants face au candidat conservateur (25,8%). Michael McLeod a fait part de son souhait d’intégrer le cabinet de Justin Trudeau. Dans son discours de victoire, il a affirmé : « We’ve put the North back on the radar, I believe». (Source CBC, Cabin Radio)
  • Au Nunavut, c’est une jeune candidate Inuit originaire de Baker Lake et membre du Nouveau Parti Démocrate (NPD), qui est élue avec 910 voix d’avance et 41,2% des votants – devant la candidate libérale Leona Aglukkaq (31%).
  • Enfin au Nunavik, les 14 communautés qui font partie d’une circonscription très étendue regroupant l’Abitibi, la Baie-James, le Nunavik et l’Eeyou, ont été gagnées par Sylvie Bérubé du Bloc Québécois, avec 37,6% des voix devant la candidate libérale (28,2%). (Sources CBC, Radio Canada)

Élections canadiennes – l’Arctique a été absent des débats et les populations autochtones peu évoquées

Durant la campagne canadienne pour les élections fédérales qui a duré 40 jours, l’Arctique et ses populations ont été absents des débats ou évoqués de manière générale.

Alors que la région se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la planète et que l’environnement fut un enjeu de cette campagne électorale, la région ne fut pas évoquée par les candidats durant les débats et seul le Premier ministre sortant a effectué un déplacement à Iqaluit au Nunavut. La question des populations autochtones canadiennes et de leurs conditions de vie fut de la partie, mais sans aller dans le détail et sans nommer les Inuit en particulier. Ce fut l’occasion pour Justin Trudeau de rappeler son bilan sur la question tout en reconnaissant qu’il y a beaucoup à faire encore. Le candidat du NPD, Jagmeet Singh, s’est lui fait remarquer dans une interview en répondant à une question sur le besoin en eau potable dans les communautés en promettant s’il est élu d’investir 1,8 milliard de dollars pour en finir avec ce problème qui touche de nombreuses populations au Canada. (Source Global News)

Par ailleurs, aucun commentaire ni débat n’a été fait sur la question de la souveraineté canadienne dans l’Arctique alors que les déclarations du secrétaire d’État Mike Pompéo ont remis sur le devant de la scène la question du statut du Passage du Nord-Ouest (cf. bulletin n°1). Les activités chinoises et russes, qui inquiètent pourtant certains parlementaires dans de récents rapports (cf. bulletins mensuels numéro 1 et 2), n’ont également pas été évoquées. (Sources Eye On the Arctic, Eye On the Arctic, Eye On the Arctic)

Cette absence de mention des populations Inuit dans les débats se vérifie sur les réseaux sociaux et notamment Twitter où, sur 40 000 tweets analysés de 800 comptes de candidats le 18 octobre, seuls 4 tweets font mention des Inuit. (Source Eye on the Arctic)

Justin Trudeau se rend à Iqaluit dans le cadre de la campagne électorale fédérale pour parler environnement et changement climatique

Pour la troisième fois, Justin Trudeau s’est rendu à Iqaluit pour parler environnement et changement climatique au côté de Megan Pizzo-Lyall, candidate pour le siège de députée du Nunavut.

Le Premier ministre sortant a été le seul à se rendre dans l’Arctique pendant la campagne. Lors de ce déplacement, le candidat libéral a présenté son plan climat qui mise sur l’imposition d’une taxe carbone afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Toutefois, cela va à l’encontre de la réalité du Nord qui ne peut fonctionner sans diesel. Pour cela, Justin Trudeau a promis de mettre fin à la dépendance au diesel de toutes les communautés canadiennes d’ici 2030 en misant sur les énergies vertes dont l’hydroélectricité. C’est un plan très ambitieux étant donné les contraintes climatiques géographiques et technologiques liées aux énergies vertes disponibles dans le Nord. (Source Eye on the Arctic)

Le Nord canadien continue de miser sur l’extraction minière et sur le tourisme pour son développement

Un des enjeux majeurs dans les territoires arctiques canadiens est le développement ; et les options sont peu nombreuses pour l’assurer. Seuls les secteurs minier et touristique semblent être viables et apporter des bénéfices aux populations locales.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest veut encourager la prospection minière dans l’est du Territoire, en s’appuyant sur la publication d’une étude sur le potentiel minier de la province géologique des Esclaves. Cette étude, qui a coûté 1,1 million de dollars, a été réalisée par le Bureau géologique des Territoires du Nord-Ouest et financée par l’Agence canadienne de développement économique du Nord. Les autorités espèrent ainsi améliorer la connaissance géologique de cette zone et attirer des investissements. (Source Regard sur l’Arctique)

Au Yukon, la nouvelle mine de la compagnie Eagle a coulé son premier lingot en septembre 2019, en présence du Premier ministre du Yukon, Sandy Silver. Cet événement concrétise un projet démarré il y a 10 ans pour un investissement de 500 millions de dollars et qui représenterait 400 emplois. Notons toutefois que « le secteur minier tourne au ralenti au Yukon depuis 2018 en raison d’une baisse des prix ». (Source Radio Canada)

L’organisation inuit Qikiqtani (QIA) au Nunavut a décidé d’imposer aux touristes visitant la région de Qikiqtaaluk des taxes, notamment au profit des chasseurs inuits. Les agences de voyages devront s’acquitter de $150 par avion atterrissant dans la région, de 100$ par hélicoptère ; les visiteurs devront, eux, payer 50$ par jour et 25$ pour une visite de moins de 6 heures. La moitié de ces recettes sera reversée aux organisations locales de chasse traditionnelle et le reste reviendra à QIA pour couvrir les frais administratifs. Cette initiative vise à faire profiter plus directement les Inuits des retombées du tourisme, en particulier du tourisme de croisière en hausse dans cette zone du Nunavut. En effet, le tourisme de croisière ne permet pas forcément aux Inuits de bénéficier des retombées économiques. Les touristes n’achètent souvent rien quand ils visitent leurs communautés pour quelques heures : ils disposent la plupart du temps de formules “tout compris” et les navires proposent également des ventes d’art Inuit à bord. (Source CBC)

GROENLAND/DANEMARK

Visite d’une délégation états-unienne de haut niveau au Groenland

Une délégation des États-Unis a effectué une visite au Groenland du 22 au 24 octobre 2019. Les sujets abordés touchaient les enjeux de coopération économique et commerciale, ainsi que ceux liés aux ressources naturelles.

Cette visite s’inscrit dans la suite des déclarations de Donald Trump quant à l’opportunité pour les États-Unis “d’acheter” le Groenland au Danemark. La délégation, dirigée par un des N°3 du département d’État, le conseiller Ulrich Brechbuhl, incluait l’ambassadrice des États-Unis au Danemark, des représentants du National Security Council et du Pentagone. Le voyage inclut une visite au Danemark et vise à aborder les « domaines de coopération actuelle et future ». Le ministre danois des Affaires étrangères a également été rencontré.

Certains observateurs estiment qu’il s’agit d’un pas supplémentaire dans une stratégie de séduction des Groenlandais par les États-Unis, stratégie qui pourrait inclure, à plus long terme, le rattachement du Groenland aux États-Unis.

Localement, différentes voix se sont émues de l’absence de participation à cette visite du Parlement groenlandais. L’exécutif a, quant à lui, été au cœur des évènements. Des voix se sont également élevées en faveur de l’établissement d’une politique étrangère claire et partagée au Groenland afin d’éviter une perte d’autonomie en faveur des États-Unis. L’opposition des États-Unis aux investissements aéroportuaires chinois a dans ce cadre été rappelée. (Sources : Iceland Monitor, 25/10/2019; The Wall Street Journal, 23/10/2019; Sermitsiaq-AG, 23/10/2019, 25/10/2019)

La Banque de Groenland (Grønlandsbanken) suspend temporairement
le financement d’activité de pêche

Arguant de la non-durabilité économique et biologique de la pêche, la Banque du Groenland considère le financement de cette activité trop risqué. Cela soulève la question centrale de la capacité des autorités groenlandaises de réguler cette activité économique.

À la suite de cette première annonce, une seconde est venue souligner, qu’individuellement, les pêcheurs jugés solvables pourront se voir octroyer un prêt, sous réserve de l’existence d’un plan de limitation d’accès à la pêche. L’intervention d’un opérateur privé, dans ce qui traditionnellement relève du politique, a été très mal reçue par le parti au pouvoir, le SIMIUT. Son porte-parole a souligné que le fait de cibler une catégorie socio-professionnelle particulière en termes d’accès aux services bancaires est contraire à l’idéal égalitaire de la nation groenlandaise. Sont notamment soulignés l’impact potentiel sur le secteur de la transformation et la concentration éventuelle du secteur entre les mains des plus gros opérateurs. Le Parlement groenlandais a pour sa part profité de l’occasion pour rappeler au gouvernement sa responsabilité en la matière et la nécessité de s’occuper des enjeux de soutenabilité de la pêche de toute urgence. (Sources : Sermitsiaq-AG, 25/10/2019, 25/10/2019, 24/10/2019.

ISLANDE

L’Islande continue son action de lutte contre le plastique

Dans la continuité de son programme à la Présidence du Conseil de l’Arctique, l’Islande va organiser un symposium international portant sur la lutte contre la pollution plastique dans l’Arctique en avril 2020.

Dans son programme pour la présidence du Conseil de l’Arctique, l’Islande avait notamment mis l’accent sur la lutte contre la pollution plastique dans la région. À ce titre, l’Islande a annoncé l’organisation d’un symposium international en avril 2020. Les sponsors de ce symposium seront notamment l’International Council for the Exploration of the Sea (ICES), le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), la Commission OSPAR, la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (IOC), le Marine and Freshwater Research Institute of Iceland, la Harvard Kennedy School et le Comité international de la Science Arctique (International Arctic Science Committee).

Jean-Paul Vanderlinden (CEARC), Magali Vullierme (CEARC), Michael Delaunay (CEARC).