L’Arctique de la nouvelle politique de défense du Canada

Développement rédigé par Magali Vullierme.

Le 7 juin 2017, le gouvernement Trudeau a présenté sa nouvelle politique de défense canadienne dans un document intitulé Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada. Cette politique fait suite à la lettre de mandat adressée par Justin Trudeau à Harjit S. Sajjan, son ministre de la Défense et au document de consultation publique « Examen de la Politique de défense » publié par le ministère de la Défense en 2016. Cette politique de défense présente un plan exhaustif d’investissements bien que la ventilation complète des dépenses ne soit pas encore rendue public.

La nouvelle politique de défense prévoit une augmentation des dépenses militaires pour les dix prochaines années, les faisant passer de 18,9 milliards en 2016-2017 à 32,7 milliards en 2026-2027[1]. Cela se traduira par une augmentation des effectifs des Forces Armées Canadiennes (FAC) ou encore par des investissements afin de moderniser l’équipement des FAC. Notons que le Canada réaffirme le rôle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comme fondement des relations de défense avec l’Europe. Il rappelle également ses relations bilatérales étroites avec les Royaume-Uni et la France, et souligne avoir « l’intention d’approfondir ces relations et de chercher des occasions de les renforcer »[2].

Si l’on se focalise plus particulièrement sur l’Arctique, le Canada entend acquérir une meilleure mobilité et portée ainsi que renforcer sa présence à long terme dans la région. Tout en exerçant intégralement sa souveraineté dans le Nord canadien, le Canada souhaite une collaboration étroite avec ses partenaires arctiques, plus particulièrement les États-Unis (via le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD)), mais également la Norvège et le Danemark. Le Canada reconnaît aussi l’intérêt accru d’États et d’organisations non-arctiques et se dit prêt à collaborer « avec tous les partenaires bien disposés pour faire avancer les intérêts communs en matière de sécurité »[3]. Le rôle de l’OTAN est également cité pour les exercices conjoints, le renforcement des connaissances locales et des moyens d’échange d’information[4].

Plus particulièrement, trois thèmes centraux ont été identifiés dans la nouvelle politique de défense canadienne dans l’Arctique : la présentation globale des défis spécifiques de la région, les investissements prévus et enfin le renforcement des liens avec les autochtones.

1 – Défis spécifiques de la région

L’intérêt international accru pour l’Arctique[5] nécessite une mobilité, une portée et une présence renforcée des FAC dans le Nord. À ce jour, les FAC occupent 800 immeubles sur plus de 60 sites dans l’Arctique. La Force Opérationnelle Interarmées Nord (FOIN) est présente à Yellowknife (Quartier Général), Whitehorse et Iqaluit. Au sein du NORAD, les FAC opèrent à Inuvik, Yellowknife, Rankin Inlet, Iqaluit et Goose Bay. Par ailleurs, les FAC partagent des installations à Resolute Bay (entraînement par temps froid), à Alert (installation la plus nordique au monde, axée sur le renseignement d’origine électromagnétique) et à Eureka (station météorologique de l’Extrême-Arctique). Or, cette présence doit s’accompagner d’une surveillance continue (en cas de déversements illégaux, de trafic illicite ou de pêche illégale) et d’une meilleure préparation et meilleure réactivité en cas de Recherche et Sauvetage (RES) ou de catastrophes naturelles ou d’origine humaine.

En effet, les effets du changement climatique augmentent la fréquence, la sévérité et l’ampleur des phénomènes météorologiques extrêmes[6]. Les opérations RES arctiques posent de véritables challenges opérationnels en termes de capacité et de réponse. L’actuel renforcement de la coopération internationale dans la région pourrait permettre de mieux y répondre par la mise en commun des ressources, des expériences et de l’information disponible. Au Canada, le rôle des FAC est réaffirmé dans la coordination des opérations RES avec la Garde côtière canadienne et les bénévoles[7].

En termes de surveillance, de nombreux défis sont à relever. Le faible peuplement de cette vaste zone, la faible couverture par satellite au-delà du 65e parallèle et la nature de l’ionosphère polaire sont un frein à l’exercice du commandement, au contrôle des ressources militaires ainsi qu’à la transmission de données en temps réel[8]. Afin d’avoir une surveillance et un contrôle précis des voies d’approches aériennes et maritimes, la politique de défense souhaite renforcer le concept de renseignement, surveillance et reconnaissance interarmées en l’adaptant mieux à l’environnement arctique. Par ailleurs, le lancement en 2018 d’une constellation élargie de satellites RADARSAT permettra une surveillance continue et par tous les temps[9].

Enfin, le Canada réaffirme la nécessaire coopération entre les huit États arctiques sur les questions économiques, environnementales et sécuritaires via le Conseil de l’Arctique. Un accent particulier est mis sur la collaboration avec les États-Unis au sein du NORAD. Pour le Canada, « la présence grandissante de la Russie », « son comportement résolu en Europe orientale », et « la prolifération d’armes dans des États comme la Corée du Nord »[10] nécessitent la modernisation du NORAD. Afin de renforcer la collaboration canado-américaine, la politique de défense prévoit : le renouvellement du Système d’alerte du Nord (SAN)[11] ; l’élargissement de la Zone d’identification de la défense aérienne du Canada (CADIZ) – actuellement basée sur le SAN – pour augmenter la détection aérienne et couvrir tout l’archipel arctique ; l’augmentation de la Recherche et Développement dans les nouvelles technologies pour améliorer la surveillance et le contrôle de l’Arctique[12].

2 – Investissements

Les investissements de matériel sont expliqués par la nécessité de protéger et affirmer la souveraineté du Canada, de défendre l’Amérique du Nord ou encore de mener des opérations de recherche et sauvetage (RES) et de soutien en cas de désastre[13]. Les trois armées sont concernées.

La Marine royale canadienne sera dotée de cinq à six navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique (NPEA)[14] résistants aux glaces pour assurer un appui aux opérations, aux exercices et au rayonnement des FAC[15]. Ces navires permettront de conduire une surveillance maritime armée des eaux canadiennes, y compris dans l’Arctique[16]. Notons que l’acquisition de ces navires a été annoncée en 2007 par Stephen Harper avec une première livraison prévue pour 2013[17]. Repoussé, le projet a de nouveau été approuvé en décembre 2012. Le contrat a été attribué à Irving Shipbuilding Inc. en 2013 (étude de faisabilité) et en janvier 2015 (construction). La première livraison est prévue pour 2018 et la capacité opérationnelle totale devrait être atteinte en 2023[18]. Ses NPEA seront basés sur l’installation navale de Nanisivik. La construction de ce port en eaux profondes avait, elle aussi, été annoncée en 2007 par Stephen Harper. Elle devait commencer en 2010 pour atteindre une capacité opérationnelle totale en 2015. Par la suite, cette dernière avait été repoussée jusqu’à 2016[19] puis 2018. Pour finir[20], le CP‑140 Aurora, avion de patrouille maritime à long rayon d’action utilisé dans l’Arctique, sera remplacé au début des années 2030 par un aéronef multi-missions canadien. Cela s’accompagnera de l’acquisition d’une plate-forme aérienne de renseignement, surveillance et reconnaissance pour les Forces d’opérations spéciales.

Côté armée de Terre, l’acquisition de véhicules tout-terrain, des motoneiges et des véhicules utilitaires à chenilles semi-amphibies plus gros et adaptés à l’Arctique, est prévue dans les vingt prochaines années[21].

Enfin, l’Aviation royale canadienne sera dotée de meilleures capacités spatiales, notamment des systèmes spatiaux étendant et améliorant les communications tactiques par satellite à bande étroite et à large bande[22]. Plus particulièrement, les efforts d’investissements dans le domaine spatial porteront sur « la connaissance de la situation dans l’espace, l’observation de la Terre par satellite, la connaissance du domaine maritime par satellite et les communications par satellite »[23].

L’intégralité des capacités arctiques sera incorporée dans un « système de systèmes » – application du concept de renseignement, surveillance et reconnaissance interarmées – comprenant des ressources aériennes, terrestres, maritimes et spatiales connectées par des technologies modernes[24].

3 – Liens avec les autochtones

Dans sa lettre de mandat adressée au ministre de la Défense, Justin Trudeau donne une place particulière aux autochtones : « aucune relation n’est plus importante pour moi et pour le Canada que la relation avec les peuples autochtones. Il est temps de renouveler la relation de nation à nation avec les peuples autochtones pour qu’elle soit fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat ».

Plusieurs programmes de l’Armée canadienne sont déjà destinés aux autochtones[25] : le programme d’initiation au leadership à l’intention des Autochtones[26] ; trois programmes d’instruction estivaux combinent style de vie militaire et sensibilisation culturelle (Bold Eagle, Raven, Black Bear) ; et enfin, le programme d’enrôlement des Autochtones des Forces armées canadiennes[27]. Par ailleurs, la politique de défense souligne que les collectivités autochtones sont au cœur de la sécurité dans le Nord. Partant, le gouvernement souhaite y « élargir et resserrer [ses] relations importantes (…) notamment par l’intermédiaire des Rangers canadiens et des Rangers Juniors canadiens » ainsi qu’en favorisant leur participation aux opérations et exercices courants[28].

Rangers canadiens

Les Rangers canadiens sont une sous-composante de l’armée de Terre de réserve. Au total, 5 000 autochtones (Inuit, Premières Nations et Métis) travaillent avec l’armée. L’une de leurs missions est d’assurer la souveraineté canadienne sur l’Arctique.

La lettre de mandat prévoyait en priorité l’augmentation des effectifs des Rangers canadiens. Or, la politique de défense ne semble pas confirmer cette augmentation. En effet, elle prévoit d’« améliorer et augmenter l’instruction et l’efficacité des Rangers canadiens dans le but de rehausser leurs capacités fonctionnelles au sein des Forces armées canadiennes »[29]. Ce changement de terminologie a surpris à l’opérationnel. Les Groupes de Patrouilles des Rangers Canadiens[30] sont dans l’attente d’une clarification – attendue pour septembre 2017.

Rangers Juniors canadiens

Destiné aux 12-18 ans, le programme des Rangers Juniors canadiens développe l’esprit d’équipe, le leadership, la citoyenneté, les valeurs et l’éthique tout en transmettant les connaissances traditionnelles[31]. Dans les communautés Inuit, il s’agit très souvent de l’unique structure de « divertissement » pour les jeunes. En leur apprenant à connaître leurs points forts, à avoir confiance en eux et à se valoriser, elle contribue très fortement à leur bien-être. Partant, c’est un programme essentiel pour répondre aux problèmes sociaux des communautés (suicide, dépendance, violence).

La politique de défense prévoit d’élargir la portée de ce programme (ainsi que celui des Cadets). Cet élargissement fait écho aux recommandations de Mary Simon qui place en priorité l’éducation, la transmission de la culture autochtone ou encore la santé mentale dans les communautés[32]. Une étude est actuellement en cours afin de déterminer les modalités de cet élargissement.

[1] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 11.

[2] Ibid., p. 90.

[3] Ibid., p. 90.

[4] Ibid., p. 80.

[5] Tel que l’accès aux ressources, les voies navigables, l’évolution de l’environnement ou le tourisme.

[6] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 52.

[7] Dont la responsabilité partagée par plusieurs entités gouvernementales et privées.

[8] Ministère de la Défense, consultation publique, Examen de la Politique de défense, 2016, pp. 8, 10 ; Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, pp. 50-51, 57, 79.

[9] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 64-65.

[10] Ministère de la Défense, consultation publique, Examen de la Politique de défense, 2016, p. 13.

[11] Le SAN a remplacé les radars du réseau d’alerte avancée (‘DEW line’) à la fin des années 1980.

[12] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 110 ; Annexe D : Liste des nouvelles initiatives, n°69 et n°109.

[13] Lettre de mandat adressée par Justin Trudeau à Harjit S. Sajjan, son ministre de la Défense.

[14] Cette acquisition fait partie de la Stratégie nationale de construction navale.

[15] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 80 ; Annexe D : Liste des nouvelles initiatives, n°106.

[16] Ibid., p. 35 ; Ibid., n°30.

[17] Michael Byers, Stewart Webb, Titanic Blunder, Arctic/Offshore Patrol Ships on Course for Disaster, Canadian Centre for Policy Alternatives, avril 2013, http://www.policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/National%20Office/2013/04/Titanic_Blunder.pdf.

[18] Ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, Navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique, 9 février 2017, http://www.forces.gc.ca/fr/faire-affaires-equipement/navire-patrouille-extracotier-arctique.page.

[19] Michael Byers, Stewart Webb, Ibid., p. 6.

[20] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 65.

[21] Ibid., p. 109 ; Ibid., n°43.

[22] Ibid., p. 109 ; Ibid., n°45.

[23] Ibid., p. 111 ; Ibid., n°85.

[24] Ibid., p. 80.

[25] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 21.

[26] Un an au Collège militaire royal (CMR) du Canada, focalisé sur l’éducation et le leadership.

[27] Trois semaines, permet « d’acquérir une expérience concrète de l’instruction, des carrières et de la vie militaires, sans l’obligation de s’enrôler dans les Forces ».

[28] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 80.

[29] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, Annexe D : Liste des nouvelles initiatives, n°108, 7 juin 2017.

[30] Les Groupes de Patrouilles des Rangers Canadiens (ou GPRC) regroupent les patrouilles des différentes régions. Ils sont au nombre de cinq : GPRC 1 (Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut), GPRC 2 (Nord-du-Québec), GPRC 3 (Ontario), GPRC 4 (Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan et Manitoba) et GPRC 5 (Terre-Neuve et Labrador).

[31] Ministère de la Défense, Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, 7 juin 2017, p. 70.

[32] Gouvernement du Canada, Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, Modèle de leadership partagé dans l’Arctique : Mobilisation 2016-2017 (Ottawa, 2017) –     <https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1469120834151/1469120901542>.