Bulletin Mai 2020 – États Observateurs – Union Européenne

L’Union européenne a nommé un nouvel « envoyé spécial » pour l’Arctique

Michael Mann, ancien représentant européen en Islande, a été nommé « envoyé spécial » de l’Union européenne (voir Bulletin n°11). Fort de son expérience acquise dans la région, il a pour ambition de développer une nouvelle stratégie européenne pour l’Arctique centrée sur l’économie durable, la protection de l’environnement et la sécurité, comme il le raconte dans une première interview donnée au journal High North News.

Le poste d’ambassadeur européen pour l’Arctique avait été créé en 2017 et occupé jusqu’en novembre 2019 par Marie-Anne Coninsx, puis occupé pour une période de trois mois par le suédois Lars-Gunnar Wigemark. Le 1er avril, le britannique Michael Mann a pris le relais dans ce poste symbolique de l’intérêt européen en Arctique. Sa tâche, qu’il définit désormais comme celle d’« envoyé spécial » pour l’Arctique (sans que l’on ne sache si ce changement de description implique aussi un changement de fonction), consistera à présenter et faire valoir les ambitions européennes dans la gouvernance arctique et à continuer la préparation d’une nouvelle stratégie pour la région, initiée et annoncée par Marie-Anne Coninsx en octobre 2019 (voir Bulletin n°6). Cette nouvelle stratégie sera, d’après Michael Mann, avant tout centrée sur les enjeux de durabilité et de développement économique en Arctique, dans le cadre du Green New Deal européen. Il entend également poursuivre la volonté de Marie-Anne Coninsx d’inscrire l’Union européenne comme un acteur de la gouvernance sécuritaire de l’Arctique, alors qu’il s’agit d’un sujet de plus en plus prégnant dans la région. Dans une première interview donnée au journal High North News, il insiste sur son expérience acquise en Arctique alors qu’il était ambassadeur européen en Islande depuis 2017, et sur sa volonté de porter les enjeux environnementaux et de développement durable au sein de la gouvernance arctique.

La Turquie, future puissance polaire ?

La Turquie cherche à s’imposer dans la géopolitique mondiale et à ne plus simplement passer pour une puissance régionale. Les régions polaires sont des bastions d’expansion de la puissance turque, qui cherche à être présente dans toutes les parties du monde. Si les efforts turcs se concentrent essentiellement sur l’Antarctique, elle ne cache pas ses ambitions dans le Grand Nord.

Pour le RUSI Journal, qui a publié en avril 2020 une analyse de la stratégie polaire turque (« Turkey : A New Polar Power? »), l’Arctique et l’Antarctique sont des régions aux intérêts stratégiques croissants pour la Turquie. En 2015, la Turquie a candidaté au statut d’Observateur du Conseil de l’Arctique, qu’elle n’a pas encore obtenu mais qu’elle cherche à défendre en développant son activité scientifique dans la région, suivant une stratégie déjà déployée en Antarctique où la science est un dénominateur essentiel de la gouvernance régionale. Ainsi, la Turquie a lancé sa première expédition scientifique nationale en Arctique en 2019, espérant convaincre de son intérêt pour la région. L’objectif d’une présence turque dans le jeu arctique est d’être présent sur tous les fronts de la géopolitique mondiale, pour une puissance qui cherche à ne plus être perçue comme un simple acteur régional. En particulier, l’Arctique est une région à l’intérêt stratégique croissant et la Turquie n’est pas la seule puissance à y manifester une récente ambition.

La coopération sécuritaire au cœur de la future stratégie des Pays-Bas en Arctique ?

Les Pays-Bas devraient publier en 2020 leur nouvelle stratégie pour l’Arctique, dans laquelle ils défendront la création d’un forum de coopération pour la sécurité, alors que la « géopolitisation » de la région s’est accrue, affectant la politique étrangère hollandaise.

L’institut de recherche néerlandais Clingendael a publié un rapport analysant la situation sécuritaire arctique, en proie à une « géopolitisation », c’est-à-dire d’après le document, à une augmentation des risques de tensions. Ces différents enjeux sécuritaires en Arctique sont d’ordre économique, environnemental et politico-militaire, et devraient tout autant concerner les pays arctiques que les États extérieurs. Les Pays-Bas ont prévu de dévoiler en 2020 leur nouvelle stratégie pour l’Arctique, opérationnelle pour les années 2021-2025, et dans laquelle ils devraient proposer de renforcer la coopération régionale en matière de sécurité. Les forums actuellement disponibles semblent en effet peu adaptés pour répondre aux défis sécuritaires qui se posent en Arctique, ni pour intégrer tous les acteurs – régionaux ou non. Ainsi, le Conseil de l’Arctique n’est pas une organisation pensée pour accueillir des discussions d’ordre militaire et les États extérieurs, comme les Pays-Bas, qui se sentent pourtant concernés, n’auraient pas la possibilité d’exprimer leurs idées. En l’état, l’Arctic Security Force Roundtable ne serait pas non plus l’enceinte idéale pour accueillir les discussions pour la coopération sécuritaire puisque la Russie n’y participe plus alors qu’elle est l’un des acteurs fondamentaux de la sécurité en Arctique. Les Pays-Bas pourraient proposer dans leur nouvelle stratégie la création d’un forum dédié à la coopération militaire, qui intégrerait à la fois les pays arctiques, les Observateurs et d’autres organisations, comme l’Union européenne et l’OTAN. Cette nouvelle organisation, qui pourrait être nommée Arctic Security Cooperation Forum, serait un organe indépendant du Conseil de l’Arctique, sans prétendre à le supplanter ; elle pourrait être un espace de dialogue à l’écart des tensions entre grandes puissances qui émergent dans la gouvernance régionale. Les Pays-Bas ne devraient pas faire cavalier seul pour défendre une telle proposition et pourraient coopérer avec la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, autres puissances ayant développé des intérêts en Arctique et concernées par l’évolution de sa situation sécuritaire. Finalement, une telle proposition montre bien les développements récents de l’intérêt international pour l’Arctique : il n’est plus seulement question d’une réponse commune face au changement climatique, mais aussi face aux risques sécuritaires qu’impliquent les bouleversements récents que connaît la région. La sécurité nationale des Pays-Bas pourrait être affectée par ce qui se passe en Arctique, la région étant dans sa zone d’intérêt prioritaire, le Nord de l’Eurasie.

La participation de la Chine à l’expédition MOSAIC

La Chine participe à l’expédition MOSAIC internationale sur la dérive des glaces. Il s’agit de sa première expédition dans l’Arctique en saison hivernal et confirme les ambitions de Pékin dans la région.

Pour la Chine, le volet scientifique et exploration de sa stratégie pour l’Arctique demeure un élément essentiel du discours qui permet de justifier, dans un contexte de tensions avec les États-Unis, sa revendication de grande puissance responsable et de légitimer son statut d’« État quasi-arctique » aujourd’hui contesté[1]. Ce discours est d’autant plus efficace qu’il recouvre une vraie dimension de coopération scientifique qui doit être prise en compte. Dans ce contexte, la participation de la Chine, depuis 2019, à l’expédition MOSAIC sur l’étude de la dérive des glaces offre un éclairage sur cette double lecture[2].

Dix-huit chercheurs chinois participent à cette expédition qui en réunit plus de 600 venant de 17 pays différents. Le pays leader de la mission est l’Allemagne avec son brise-glace Polarstern, mais la Chine souligne qu’un brise-glace chinois participe également à l’expédition, aux côtés de deux autres brise-glaces russe et suédois. Sa mission est limitée mais symboliquement importante. L’équipe chinoise est menée par Lei Ruibo, physicien spécialiste des glaces du Polar Research Institute of China. Les éléments notés par l’article qui relate l’expédition soulignent le caractère « héroïque » des chercheurs, dans des conditions climatiques particulièrement difficiles.

Pour Pékin, les éléments essentiels – dans la continuité du lancement de son second brise-glace – le Xuelong 2 – en 2019, sont l’acquisition d’expérience en milieu hostile. La première expédition polaire autonome de la Chine date de 1999. Elle sera suivie de 10 autres missions avec une accélération. Depuis 2008, les missions sont biannuelles, et annuelles depuis 2018. Surtout, la mission MOSAIC permet à la Chine d’accomplir sa première mission en période hivernale. Il s’agit donc d’une confirmation de la montée en puissance de la Chine comme puissance « polaire », en dépit de la méfiance que ces ambitions suscitent.

La recherche d’un positionnement « responsable » du Japon en Arctique : l’exemple du tourisme

La recherche japonaise développe un programme de recherche sur les dangers de l’over tourism dans l’Arctique. Ces priorités permettent à Tokyo de renforcer son positionnement de puissance « responsable » sur la scène internationale.

Fidèle à son positionnement de puissance « responsable », qui s’oppose à l’ambitieux discours chinois sur les routes de la soie, dans l’Arctique comme dans le reste du monde, Tokyo vient de publier les premiers résultats d’un travail de recherche à long terme qui porte sur les conséquences du tourisme de masse sur les équilibres humains et environnementaux dans l’Arctique[3]. Il faut noter que le développement des ressources touristiques faisait partie des objectifs cités par le Livre blanc sur l’Arctique publié par Pékin en 2018.[4]

Selon les premières conclusions publiées par l’équipe de recherche japonaise, des mesures préventives visant à contrôler le « sur-tourisme » (over tourism) doivent être mises en œuvre par la communauté internationale. L’article propose une grille d’analyse et d’intervention qui croise huit catégories de problèmes et quatre niveaux de mise en œuvre. Les huit catégories sont la culture locale et les peuples indigènes, les communautés, le développement du tourisme, la recherche, l’élaboration de règles et de codes, l’éducation et le renforcement de la prise de conscience public (public awareness), l’énergie et l’environnement. Les quatre niveaux de mise en œuvre sont ceux des communautés, des États, de la société internationale et de la nature (le globe terrestre).

Cette première publication méthodologique doit être suivie d’autres travaux qui permettent d’étayer les positions de ceux qui défendent le principe de « valeurs » communes et de « qualité » du développement.

[1] https://thebarentsobserver.com/en/arctic/2019/05/us-stuns-audience-tongue-lashing-china-russia-eve-arctic-council-ministerial – Au mois de mai 2019, à la veille de la Réunion du Conseil de l’Arctique, Mike Pompeo a contesté cette qualification chinoise.

[2] Wang Yan, « Arctic Exploration, Drifting with the Ice », China Dialogue Ocean, March 2, 2020 sur https://chinadialogueocean.net/

[3] Takafumi Fukuyama et.al., Fundamental Analysis of Significant Issues Regarding the Development of Arctic Tourism, Hokkaido University, The Okhotsk Sea and Polar Ocean Research Association, 18-02-2020.

[4] “Arctic tourism is an emerging industry, and China is a source of tourists to the Arctic. China supports and encourages its enterprises to cooperate with Arctic States in developing tourism in the region” in http://english.www.gov.cn/archive/white_paper/2018/01/26/content_281476026660336.htm

Alexandre Taithe (FRS), Mayline Strouk (GEG – FRS)